En l’absence de dénomination légale des termes utilisés pour la viande : l’impossibilité d’interdire

L’arrêt du 4 octobre 2024 de la Cour de justice mettra-t-il un terme à la saga française de la tentative d’interdiction de l’emploi pour les protéines végétales des termes utilisés dans le monde de la viande ?

L’arrêt du 4 octobre 2024

Rappel : Le Conseil d’État a saisi la Cour de Justice de différentes questions relatives à l’interprétation du règlement 1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires à la suite du contentieux en annulation du Décret n° 2022-947 du 29 juin 2022, – nous en parlions ici, et ici quand il ne s’agissait que d’un projet -,  relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, questions maintenues avec le second décret, celui n° 2024-144 du 26 février 2024, nos remarques au moment de Pâques.

Le 4 octobre 2024 si la Cour de justice laisse ouverte la possibilité d’actions en cas de modalités concrètes de vente ou de promotion d’une denrée alimentaire induisant en erreur  le consommateur, la voie de l’interdiction prévue au décret de 2024 n’est pas possible en l’absence de « dénominations légales » des termes utilisés pour la viande. 

Nos commentaires plus détailles sur l’arrêt.

Défense du patrimoine historique des entreprises ou prédominance des marques indépendamment de leurs titulaires ?   

Défense du patrimoine historique des entreprises (dont le nombre s’amenuise au fil du temps) ou prédominance des marques indépendamment de leurs titulaires ?   

L’arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 2024 sur pourvoi contre l’arrêt de la Cour de Paris du 23 novembre 2021 interroge la Cour de Justice sur la validité des marques dont le signe est compris comme l’allégation de l’ancienneté de leurs titulaires. L’arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 2024

1°) Les deux marques en cause

Se sont deux marques semi- figuratives « Fauré LE PAGE Paris 1717 »

  • La marque n° 3 839 811, qui désigne divers produits des classes 3, 9, 14, 16, 18, 24 et 25, comporte un motif triangulaire répétitif au sein duquel sont placées de manière équidistante et répétée les mentions séparées ‘Fauré LE PAGE’ et ‘ PARIS 1717″.
  • La marque n°3 839 809, déposée pour divers produits des classes 3, 9, 14, 16, 18, 24 et 25, comporte la mention verbale ‘Fauré LE PAGE PARIS 1717″dans une typographie et une disposition particulières ‘Fauré LE PAGE’ sur une première ligne en caractères gras de grande taille et en dessous, en plus petits caractères, de façon centrée, la mention ‘PARIS 1717″.

2°) Ce que voit la Cour de Paris le 23 novembre 2021 dans ces signes

Ces mentions verbales apparaissent comme une carte d’identité de la marque apposée sur lesdits produits à savoir d’une part la reprise de la dénomination sociale du titulaire de la marque ‘FAURÉ LE PAGE’, d’autre part la mention ‘PARIS 1717″ évoquant pour le consommateur moyen des produits visés, le lieu historique et la date de création de l’entreprise au XVIIIème siècle, cette perception étant renforcée par les typographies anciennes utilisées dans les deux marques.

3°) La société actuelle n’est pas celle créée en 1716 et elle n’en est pas la suite par une transmission de son patrimoine

Or en l’espèce, s’il n’est pas contesté qu’une société Fauré Le Page a été créée en 1716, il est cependant démontré que son activité, qui était une  activité  d’achat  et  de  vente  d’armes,  de  munitions,  et d’accessoires tels que des étuis ou des gibecières, s’est arrêtée en 1992, la société ayant été dissoute et transférée à titre universel à la société Saillard dont il n’est pas justifié qu’elle ait continué l’activité, seule ayant été cédée le 28 octobre 2009 la marque « Fauré Le Page » n° 1 534 660 déposée le 5 juin 1989 à la société Fauré Le Page Paris créée à cette fin le 20 octobre 2009, laquelle n’a en conséquence pas repris ni continué l’activité de la société Maison Fauré Le Page ni celle de la société Saillard, peu important le fait que le contrat de cession de marque mentionne que ‘le cédant s’engage à cesser toute exploitation de la dénomination Fauré Le Page’.

4°) Ce que dit la Cour de Paris le 23 novembre 2023 de cette absence de continuité entre personnes morales

Ainsi les marques ‘FAURÉ LE PAGE PARIS 1717″, qui contiennent la date 1717 faisant référence à la date de création de la société Fauré Le Page au XVIIIème siècle sont de nature à tromper le public en créant un  risque  de  confusion  sur  l’origine  des  produits  visés  à l’enregistrement, en lui laissant croire qu’ils proviennent d’une société Fauré Le Page ancienne de plusieurs siècles, ce qui est un gage de savoir-faire, de qualité et de sérieux pour le consommateur desdits produits, le risque de tromperie étant ainsi suffisamment établi.

Il convient de dire en conséquence que les marques ‘FAURE LE PAGE PARIS 1717″ n° 3 839 811 et n° n° 3 839 809 sont déceptives pour les produits visés à leur enregistrement et de les annuler pour l’ensemble desdits produits.

5°) Les questions soumises à la Cour de justice par la Cour de cassation le 5 juin 2024

1°) L’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive n° 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que la mention d’une date de fantaisie dans une marque communiquant une information fausse sur l’ancienneté, le sérieux et le savoir-faire du fabricant des produits et, partant, sur une des caractéristiques non matérielles desdits produits, permet de retenir l’existence d’une tromperie effective ou un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur ?

2°) En cas de réponse négative à la première question, cet article doit-il être interprété en ce sens :

a) qu‘une marque peut être considérée comme déceptive lorsqu’il existe un risque que le consommateur des produits et services qu’elle désigne croie que le titulaire de cette marque jouit d’une ancienneté séculaire dans la production de ces produits, leur conférant une image de prestige, alors que tel n’est pas le cas ?

b) que, pour que l’on puisse retenir l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur, dont dépend le constat du caractère déceptif d’une marque, il faut que la marque constitue une désignation suffisamment spécifique des caractéristiques potentielles des produits et des services pour lesquels elle est enregistrée, de sorte que le consommateur visé soit amené à croire que les produits et les services possèdent certaines caractéristiques, qu’ils ne possèdent pas en réalité ?

Cession gratuite de marque : quelques commentaires sur des décisions mal lues ou mal comprises

De commentaires en sites web, de réseaux sociaux aux plateformes participatives, une rumeur enfle : la cession gratuite de marque et de droit d’auteur (et pourquoi pas de tous les droits immatériels) devrait être passée devant notaire sous peine de nullité. Avant de regarder ce que disent réellement ces cinq décisions récentes, rappelons en quelques mots que ce qui est gratuit n’est pas sans valeur, et qu’une cession gratuite n’est pas une libéralité.

La suite est là

Le 13 mars 2024, la Cour de Paris annule le contrat de cession gratuite de marque pour vice de consentement et non pour donation proscrite à l’article 931 du Code civil

Successivement le Tribunal judiciaire de Paris, le 8 février 2022 et la Cour de Paris, le 13 mars 2024, annulent un contrat de cession gratuite de marque. L’arrêt du 13 mars 2024

La Toile s’enflamme, la cession gratuite de marque devait être passée devant notaire, à défaut elle serait nulle en application de l’article 931 du Code civil.

Mais une telle lecture de la décision d’appel est erronée.

Limitons-nous aux faits rappelés à l’arrêt puisqu’ils ont été considérablement simplifiés par l’abandon en appel de nombreuses demandes.

1. Les faits

4 août 2014 : S et T , deux personnes physiques, déposent ensemble une demande de marque de l’Union.

18 juin 2015 : S et T déposent ensemble 3 modèles communautaires (désignés 116-1 à 116-3 ).

13 juillet 2015 : cession de la marque et des modèles 116 à la société H… D…( cette société deviendra A…..).

2 janvier 2017 : à nouveau ensemble 3 dépôts de modèles communautaires (désignés 688-1 à 688-3).

27 janvier 2017 : S concède une licence sur la marque et sur les modèles 166 à la société O……..  où S et T sont associés, et à une société C….. S….. ( cette société est présentée comme tierce, a priori S et T n’en seraient donc pas associés).

11 décembre 2017 : S quitte le capital de la société C….

2019 : liquidation de O……..

23 janvier 2018 : T dénonce la cession des droits du 13 juillet 2015.

7 novembre 2018 : T assigne S et la société A….. en nullité du contrat de cession du 15 juillet et en contrefaçon de marque et de modèles ( leur validité sera d’ailleurs contestée).

Le jugement annule le contrat, la Cour confirme cette annulation .

2.  Le 23 mars 2024 l’annulation du contrat du 13 juillet 2015 intervient pour défaut de consentement de T

                      2.1 Un contrat de cession très particulier

La situation de cet acte du 13 juillet 2015 est pour le moins étonnante puisque selon T,   cette « cession de droits sur [la marque] ainsi que les dessins et modèles effectués au profit de la société H……. D …… |est] dans l’unique objet de procédures contre les contrefacteurs ».

En effet, une action en contrefaçon a été engagée par la société H….. D….. devenue la société A ….. , qui a été rejetée avec annulation des 3 modèles 116 par jugement du 11 juillet 2019.

                   2.2 Le défaut de consentement de T à l’acte du 13 juillet 2015 … parce qu’il ne l’a pas signé et s’est toujours comporté comme le titulaire des droits prétendument cédés

L’arrêt du 23 mars énumère une étonnante liste de griefs à cet acte du 13 juillet.

Cette liste se trouve regroupée dans un alinéa qui débute par « la validité de l’acte de cession daté du 13 juillet 2015 est des plus suspectes »,

2.2.1. T n’a pas signé cet acte du 13 juillet 2015 ….qui n’était d’ailleurs pas sa date

  • La signature qui y apparaît sous le nom de M. [T] ne correspond pas à celle qui figure sur la carte nationale d’identité de l’intéressé ni à celle qu’il a apposée au bas des statuts de la société O……. en octobre 2014.
  • La date de ce contrat est manifestement fausse :
    • Y sont annexés des certificats délivrés par l’EUIPO en date du 29 novembre 2016.
    • Au demeurant, dans un courrier du 27 octobre 2016 adressé à la société H d (dont M. [S] était, seul, l’associé et le gérant), MM. [S] et [T] étant en copie par mails, Me A …, conseil de MM. [T] et [S], évoque la cession comme étant à intervenir (« la marque ainsi que les dessins et modèles sont exploités par la société H…… D …… depuis sa création sans qu’aucun contrat de cession des droits ne soit intervenu entre vous-mêmes et la société H…….. D….. (‘) le contrat de cession va prévoir de rétroagir à la date de création de la société H…… D…. (‘) » ; « je vous prie de trouver sous ce pli le projet de cession (‘) »).

« Il est donc établi que M. [T] n’a pas signé de contrat de cession de la marque et des dessins et modèles le 13 juillet 2015, ce contrat indiquant par ailleurs en son article 6 (« Entrée en vigueur ») que la cession est « réputée être intervenue rétroactivement au jour de la création de la société H …. D……soit le 2 juillet 2014 », ce qui ne correspond pas à la date du 13 juillet 2015 ».

2.2.2. T s’est toujours comporté comme le titulaire des droits prétendument cédés

  • Enfin, plusieurs courriers postérieurs à la cession prétendument intervenue le 13 juillet 2005 montrent que M. [T] est toujours considéré et se comporte toujours comme le cotitulaire des titres :
    • ainsi, le 2 août 2016, M. [S] demande l’avis de M. [T] pour un contrat de concession de marque (pièce 32 intimé) ;
    • le 14 octobre 2016, un contrat international de fabrication entre la marque « …… » « représentée par Mr [S] et Mr [T] [N] » et la société B E est adressé par celle-ci à M. [T] pour validation (pièce 28) ;
    • le 22 décembre 2016, M. [T] répond à H D (M. [S]) au sujet d’une difficulté rencontrée par un client avec des antennes (pièce 37) ;
    • fin 2016/ début 2017, M. [T] est chargé du dépôt de la marque aux Etats-Unis (pièce 35) ;
    • le 11 janvier 2017, la société B informe MM. [S] et [T] de la modification de la codification de produits de la marque « ……  » (pièce 29) ;
    • le 28 avril 2017, M. [T] indique à Me A …  qui l’avait interrogé, ainsi que M. [S], sur une contrefaçon de la marque « …….. » : « D’un commun accord, nous prenons la décision » de ne pas adresser de mise en demeure à la société …….. mais de « demander directement une saisie et procédure pour contrefaçon et usage abusif de la marque » (pièce 38) ;
    • le 31 mai 2017, Me A…. rappelle à M. [T] : « les dessins et modèles sont aussi à toi » (pièce 27) ;
    • le 31 mai 2017, Me A … , indiquant intervenir pour MM. [S] et [T], et non pour la société H….. D…… adresse une mise en demeure à M. [W] de cesser la commercialisation de produits protégés par la marque « …….  » ou les dessins et modèles (pièce 30)’
    • Par ailleurs, par « contrat de distribution exclusive et de concession de marques dessins et modèles » du 27 janvier 2017, M. [S] concède aux sociétés O …… et C…..  une licence sur les marque et dessins et modèles, étant cité comme le « propriétaire exclusif » de la marque « …… » et comme « le titulaire » des titres, ce qui est en contradiction avec la cession alléguée de ces mêmes titres à la société H….. D….. qu’il dirigeait (aujourd’hui A…..) prétendument intervenue le 13 juillet 2005. »
  1. Quel enseignement tiré de cet arrêt à propos de la cession gratuite de la marque confrontée à l’article 931 du Code civil ? Aucun !

Une lecture hâtive de cet arrêt du 13 mars 2024 y voit l’application de l’article 931 aux bénéfices des personnes morales  et qu’il y est dit que l’article 714-1 du CPI n’y fait  pas exception.

Toutefois, c’est oublié que la contestation de cette cession gratuite venait du prétendu cessionnaire (T) lui-même alors que classiquement, ce débat est mené à l’initiative d’une partie qui se trouve évincée de sa quote-part sur la donation.

Mais surtout les contempteurs de cet arrêt ont omis de relever la contradiction pourtant notée par la Cour dans l’argumentation de S, l’autre cessionnaire, « qui soutient tout à la fois que « l’acte comporte en lui-même l’intention libérale requise en ce qu’il indique que la cession intervient à titre gratuit » et que « l’acte litigieux ne saurait être qualifié de donation ».

C’est là qu’il faut revenir à ce qui a été dit ci-dessus à propos de cet étrange contrat.

En quoi un tel contrat à supposer qu’il ait été valablement signé, aurait constitué une donation avec l’intention constitutive de la libéralité requise aux articles 931 et suivants du code civil ?

Combien de marques concernées par les interdictions sur les dénominations faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale ?

A l’occasion de Pâques et de ses produits en chocolat sous la forme d’animaux, revenons sur le décret n° 2024-144 du 26 février 2024, le décret, relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, et ses nombreuses interdictions.

Extraits choisis.

« il est interdit d’utiliser, pour décrire, commercialiser ou promouvoir un produit transformé contenant des protéines végétales :

Une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale ; »

Deux autres dispositions à combiner entre elles.

« Il est interdit de détenir en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, de mettre en vente, de vendre ou de distribuer à titre gratuit des denrées qui ne répondent pas aux règles fixées dans le présent décret ».

….

« Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret ».

A la lecture du décret , une surprise.

Rien n’est dit pour les marques dont le signe verbal est composé d’une des dénominations dans les emplois interdits, ni sur les marques figuratives quand leur visuel se prononce par l’une ou l’autre des dénominations interdites pour ces mêmes emplois.

La précédente version du décret avait été présentée