Défense du patrimoine historique des entreprises ou prédominance des marques indépendamment de leurs titulaires ?   

Défense du patrimoine historique des entreprises (dont le nombre s’amenuise au fil du temps) ou prédominance des marques indépendamment de leurs titulaires ?   

L’arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 2024 sur pourvoi contre l’arrêt de la Cour de Paris du 23 novembre 2021 interroge la Cour de Justice sur la validité des marques dont le signe est compris comme l’allégation de l’ancienneté de leurs titulaires. L’arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 2024

1°) Les deux marques en cause

Se sont deux marques semi- figuratives « Fauré LE PAGE Paris 1717 »

  • La marque n° 3 839 811, qui désigne divers produits des classes 3, 9, 14, 16, 18, 24 et 25, comporte un motif triangulaire répétitif au sein duquel sont placées de manière équidistante et répétée les mentions séparées ‘Fauré LE PAGE’ et ‘ PARIS 1717″.
  • La marque n°3 839 809, déposée pour divers produits des classes 3, 9, 14, 16, 18, 24 et 25, comporte la mention verbale ‘Fauré LE PAGE PARIS 1717″dans une typographie et une disposition particulières ‘Fauré LE PAGE’ sur une première ligne en caractères gras de grande taille et en dessous, en plus petits caractères, de façon centrée, la mention ‘PARIS 1717″.

2°) Ce que voit la Cour de Paris le 23 novembre 2021 dans ces signes

Ces mentions verbales apparaissent comme une carte d’identité de la marque apposée sur lesdits produits à savoir d’une part la reprise de la dénomination sociale du titulaire de la marque ‘FAURÉ LE PAGE’, d’autre part la mention ‘PARIS 1717″ évoquant pour le consommateur moyen des produits visés, le lieu historique et la date de création de l’entreprise au XVIIIème siècle, cette perception étant renforcée par les typographies anciennes utilisées dans les deux marques.

3°) La société actuelle n’est pas celle créée en 1716 et elle n’en est pas la suite par une transmission de son patrimoine

Or en l’espèce, s’il n’est pas contesté qu’une société Fauré Le Page a été créée en 1716, il est cependant démontré que son activité, qui était une  activité  d’achat  et  de  vente  d’armes,  de  munitions,  et d’accessoires tels que des étuis ou des gibecières, s’est arrêtée en 1992, la société ayant été dissoute et transférée à titre universel à la société Saillard dont il n’est pas justifié qu’elle ait continué l’activité, seule ayant été cédée le 28 octobre 2009 la marque « Fauré Le Page » n° 1 534 660 déposée le 5 juin 1989 à la société Fauré Le Page Paris créée à cette fin le 20 octobre 2009, laquelle n’a en conséquence pas repris ni continué l’activité de la société Maison Fauré Le Page ni celle de la société Saillard, peu important le fait que le contrat de cession de marque mentionne que ‘le cédant s’engage à cesser toute exploitation de la dénomination Fauré Le Page’.

4°) Ce que dit la Cour de Paris le 23 novembre 2023 de cette absence de continuité entre personnes morales

Ainsi les marques ‘FAURÉ LE PAGE PARIS 1717″, qui contiennent la date 1717 faisant référence à la date de création de la société Fauré Le Page au XVIIIème siècle sont de nature à tromper le public en créant un  risque  de  confusion  sur  l’origine  des  produits  visés  à l’enregistrement, en lui laissant croire qu’ils proviennent d’une société Fauré Le Page ancienne de plusieurs siècles, ce qui est un gage de savoir-faire, de qualité et de sérieux pour le consommateur desdits produits, le risque de tromperie étant ainsi suffisamment établi.

Il convient de dire en conséquence que les marques ‘FAURE LE PAGE PARIS 1717″ n° 3 839 811 et n° n° 3 839 809 sont déceptives pour les produits visés à leur enregistrement et de les annuler pour l’ensemble desdits produits.

5°) Les questions soumises à la Cour de justice par la Cour de cassation le 5 juin 2024

1°) L’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive n° 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que la mention d’une date de fantaisie dans une marque communiquant une information fausse sur l’ancienneté, le sérieux et le savoir-faire du fabricant des produits et, partant, sur une des caractéristiques non matérielles desdits produits, permet de retenir l’existence d’une tromperie effective ou un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur ?

2°) En cas de réponse négative à la première question, cet article doit-il être interprété en ce sens :

a) qu‘une marque peut être considérée comme déceptive lorsqu’il existe un risque que le consommateur des produits et services qu’elle désigne croie que le titulaire de cette marque jouit d’une ancienneté séculaire dans la production de ces produits, leur conférant une image de prestige, alors que tel n’est pas le cas ?

b) que, pour que l’on puisse retenir l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur, dont dépend le constat du caractère déceptif d’une marque, il faut que la marque constitue une désignation suffisamment spécifique des caractéristiques potentielles des produits et des services pour lesquels elle est enregistrée, de sorte que le consommateur visé soit amené à croire que les produits et les services possèdent certaines caractéristiques, qu’ils ne possèdent pas en réalité ?

Actions en nullité et en déchéance de marque : l’efficacité de l’INPI

Chacun se souvient que des différentes modifications législatives apportées aux marques, celle qui fut la plus commentée par les professionnels créait devant l’INPI des procédures en nullité et en déchéance de marque assorties d’une exclusivité en faveur de l’office.

Au 1er avril 2020 sont entrées en vigueur ces deux nouvelles procédures administratives ( Elles sont amplement présentées ici ).

30 décisions ont été rendues et publiées depuis.  Premières impressions.

Comme pour répondre aux interrogations des professionnels, la première décision intervient sur une action en déchéance de marque dont le demandeur fait l’objet d’une action en contrefaçon engagée antérieurement devant un tribunal par le titulaire de cette même marque. Le 10 juillet 2020, l’INPI déclare irrecevable cette demande. Primauté de l’instance judiciaire donc, puisque devant le tribunal antérieurement saisi, la demande en déchéance aurait dû être présentée.

Autre motif d’irrecevabilité d’une demande en nullité reconnu par deux décisions de l’Office,  la marque contestée n’est pas encore enregistrée.

Mais ce ne sont là finalement que des péripéties par rapport à l’enseignement essentiel de ces 30 premières décisions de l’INPI.

Leur rapidité. Pour la plus grande partie d’entre elles, ces décisions sont rendues dans un délai compris entre 5 et 7 mois, ce qui est un succès au regard des durées accordées au titulaire de la marque pour se manifester.  Avec la pandémie tenir de tels délais constituer une prouesse.

Exceptée dans une seule affaire, le titulaire de la marque n’a pas apporté d’argumentaire pour combattre la demande en nullité ou en déchéance. Et toutes les demandes en nullité ou en déchéance examinées, sont acceptées dans leur totalité ou partiellement.

Autrement dit,  ces procédures administratives montrent leur utilité pour faire disparaître les marques qui ne sont pas exploitées ou dont les titulaires ne voient plus d’intérêt à leur maintien.

Antérieurement à la création de ces procédures administratives, obtenir les mêmes résultats pour les demandeurs aurait nécessité de leur part l’engagement de procédures judiciaires et les aurait exposés à des délais beaucoup plus longs et à des frais bien supérieurs.

Seule ombre à ce tableau, le faible nombre de ces actions. En 2020, par mois, elles se comptaient très rarement au-dessus de 10.

 

 

 

L’intelligence n’est pas appropriable à titre de marque

En ces temps où l’intelligence artificielle est âprement discutée et donc revendiquée, l’arrêt du 15 octobre 2020 du tribunal de l’Union exclut son appropriation à titre de marque. L’arrêt est là

6 mars 2013 : dépôt de la demande de marque.

Le signe : 29 février 2016 : Samsung demande la nullité de cet enregistrement.

8 mars 2018 : rejet de la demande d’annulation.

20 novembre 2018 : la Chambre de recours de l’Office annule la marque pour l’ensemble des produits et des services pour lesquels elle avait été enregistrée.

Recours du titulaire de la marque.

15 octobre 2020 : le Tribunal rejette le recours, la marque est donc annulée.

A la motivation du Tribunal, sont à citer les points ci-après:

21      En effet, premièrement, la chambre de recours a souligné à juste titre, au point 21 de la décision attaquée, que l’élément verbal « smart » désignait une technologie intelligente qui, outre l’intelligence artificielle, vise aussi « toute caractéristique technologique allant au-delà des caractéristiques “traditionnelles” des produits ». En ce sens, il convient d’admettre que ledit élément verbal est descriptif des produits et des services visés par la marque contestée. En ce qui concerne tout d’abord les produits relevant de la classe 9, il s’agit de produits électroniques ou sophistiqués d’un point de vue technologique qui peuvent présenter des fonctionnalités intelligentes, ainsi que cela ressort du point 37 de ladite décision. Il convient de noter à cet égard que, parmi ces derniers produits, l’un de ceux-ci fait explicitement référence à la notion de « smart », à savoir les « smartphones ».

22      Ensuite, l’élément verbal « smart » peut également revêtir une signification descriptive pour les produits relevant de la classe 20 visés par la marque contestée, ceux-ci pouvant, comme l’indique le point 38 de la décision attaquée, faire partie des objets sophistiqués d’un point de vue technologique. La chambre de recours illustre à juste titre sa considération en se référant à des meubles ou des miroirs qui s’adaptent électroniquement à certaines conditions, qui peuvent être contrôlés à distance, ou qui peuvent s’autocontrôler grâce à des applications logicielles intelligentes.

23      Enfin, doit être approuvé le raisonnement figurant aux points 41 à 43 de la décision attaquée concernant les services relevant de la classe 35 visés par la marque contestée. En effet, s’agissant des services de vente au détail ou en gros de produits relevant des classes 9 et 20, il y a lieu de considérer que ladite marque indique seulement que des produits présentant la caractéristique d’être « smart » sont disponibles au point de vente au détail. En ce qui concerne les autres services, à savoir ceux de publicité et de gestion commerciale, ils font référence soit à des produits intelligents, soit la manière « intelligente » de fournir ces services.

La liste des produits et services est longue, son rappel souligne l’importance de cette décision.

–        classe 9 : « Appareils et instruments scientifiques, nautiques, topographiques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle (inspection), de secours et d’enseignement ; appareils et instruments pour la conduite, la distribution, la transformation, l’accumulation, le réglage ou la commande du courant électrique ; appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; supports d’enregistrement magnétiques, disques acoustiques ; caisses enregistreuses, machines à calculer, équipement et ordinateurs pour le traitement de données ; extincteurs ; supports pour téléphones et supports pour téléphones portables, téléphones à puce, dispositifs d’informatique mobile, tablettes ; stations de chargement pour téléphones mobiles, smartphones, ordinateurs mobiles, tablettes électroniques ; stations d’accueil pour téléphones mobiles, smartphones, autres articles, en particulier dans le domaine de la photo, de la vidéo, de l’audio, des ordinateurs et des télécommunications » ;

–        classe 20 : « Meubles, glaces (miroirs), cadres ; produits, non compris dans d’autres classes, en bois, liège, roseau, jonc, osier, corne, os, ivoire, fanon de baleine, écaille, ambre, nacre, écume de mer, succédanés de toutes ces matières ou en matières plastiques » ;

–        classe 35 : « Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; présentation de produits dans les médias de communication pour le commerce de détail ; rassemblement de diverses marchandises (à l’exception de leur transport) pour le compte de tiers afin de faciliter la visualisation et l’achat de ces marchandises par le client ; services de magasins de vente au détail, points de vente en gros et magasins de vente par correspondance d’appareils et d’instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle, de secours (sauvetage) et d’enseignement, appareils et instruments de conduction, de commutation, de transformation, de stockage, de régulation et de contrôle de l’électricité, appareils d’enregistrement, de transmission et de reproduction de sons et d’images, supports d’enregistrement magnétiques, disques acoustiques, caisses enregistreuses, machines à calculer, appareils pour le traitement de l’information et ordinateurs, extincteurs d’incendie, supports pour téléphones mobiles, smartphones, ordinateurs mobiles, tablettes électroniques, stations de chargement pour téléphones mobiles, smartphones, ordinateurs mobiles, tablettes électroniques, stations d’accueil pour téléphones mobiles, smartphones, autres articles, en particulier dans le domaine de la photo, de la vidéo, de l’audio, des ordinateurs et des télécommunications, meubles, glaces (miroirs), cadres, produits en bois, liège, roseau, jonc, osier, corne, os, ivoire, fanon de baleine, écaille, ambre, nacre, écume de mer et leurs succédanés ou en matières plastiques ; distribution (vente) via des supports électroniques d’appareils et d’instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle, de secours (sauvetage) et d’enseignement, appareils et instruments de conduction, de commutation, de transformation, de stockage, de régulation et de contrôle de l’électricité, appareils d’enregistrement, de transmission et de reproduction de sons et d’images, supports d’enregistrement magnétiques, disques acoustiques, caisses enregistreuses, machines à calculer, appareils pour le traitement de l’information et ordinateurs, extincteurs d’incendie, supports pour téléphones mobiles, smartphones, ordinateurs mobiles, tablettes électroniques, stations de chargement pour téléphones mobiles, smartphones, ordinateurs mobiles, tablettes électroniques, stations d’accueil pour téléphones mobiles, smartphones, autres articles, en particulier dans le domaine de la photo, de la vidéo, de l’audio, des ordinateurs et des télécommunications, meubles, glaces (miroirs), cadres, produits en bois, liège, roseau, jonc, osier, corne, os, ivoire, fanon de baleine, écaille, ambre, nacre, écume de mer et leurs succédanés ou en matières plastiques ; distribution (vente) de produits de consommation, d’accessoires et autres articles dans le domaine de la photo, de la vidéo, de l’audio, des ordinateurs et des télécommunications ».

Combien d’actions en déchéance et en nullité devant l’INPI : le succès ?

Depuis le 1er avril, il est possible d’engager des procédures en nullité et en déchéance de marque devant l’INPI.

Ces deux procédures administratives ont-elles rencontré un succès ou au moins suscité un intérêt ?

Premiers résultats :

Les actions en déchéance doublent le nombre des actions en nullité.

  • Six actions en déchéance totale
  •  Deux actions en nullité partielle
  •  Une action en déchéance partielle
  •  Une action en nullité totale

Élément essentiel à noter :  ces actions sont celles enregistrées par l’INPI au 10 avril.

Le libellé d’une marque peut manquer de clarté et de précision sans affecter sa validité

L’arrêt rendu ce jour par la Cour de justice est à peine croyable.

Saisie sur question préjudicielles de la High Court of Justice, la Cour de justice admet qu’un libellé de produits et de services puisse manquer de clarté et de précision sans affecter la validité de la marque !

La présentation de l’arrêt est

Le droit dit à l’arrêt de la Cour de justice du 29 janvier 2020

1)      Les articles 7 et 51 du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) no 1891/2006 du Conseil, du 18 décembre 2006, ainsi que l’article 3 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent être interprétés en ce sens qu’une marque communautaire ou une marque nationale ne peut pas être déclarée totalement ou partiellement nulle au motif que des termes employés pour désigner les produits et les services pour lesquels cette marque a été enregistrée manquent de clarté et de précision.

2)      L’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, tel que modifié par le règlement no 1891/2006, et l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la première directive 89/104 doivent être interprétés en ce sens qu’une demande de marque sans aucune intention de l’utiliser pour les produits et les services visés par l’enregistrement constitue un acte de mauvaise foi, au sens de ces dispositions, si le demandeur de cette marque avait l’intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque. Lorsque l’absence d’intention d’utiliser la marque conformément aux fonctions essentielles d’une marque ne concerne que certains produits ou services visés par la demande de marque, cette demande ne constitue un acte de mauvaise foi que pour autant qu’elle vise ces produits ou services.

3)      La première directive 89/104 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une disposition de droit national aux termes de laquelle un demandeur de marque doit déclarer que cette dernière est utilisée pour les produits et les services visés par la demande d’enregistrement ou qu’il a, de bonne foi, l’intention de l’utiliser à ces fins, pour autant que la violation d’une telle obligation ne constitue pas, en tant que telle, un motif de nullité d’une marque déjà enregistrée.