Contrefaçon de marque : quels documents l’avocat peut-il demander en cours de procès avant que le tribunal ne se prononce effectivement sur la demande en contrefaçon de marque ?

Le procès en contrefaçon de marque aboutit à une décision qui se prononce sur l’atteinte à la marque invoquée le plus souvent par son propriétaire.

L’avocat du titulaire de la marque peut être tenté de demander la communication de différentes informations.

L’article L716-7-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit  différentes dispositions en ce sens.

Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie d’une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaisants ou qui fournit des services utilisés dans des activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime.

Les documents ou informations recherchés portent sur :

a) Les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits ou services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ;

b) Les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les produits ou services en cause.

Mais cet article s’applique aux produits contrefaisants ou aux activités de contrefaçon.

Tant que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la contrefaçon,  y- a-t-il oui ou non contrefaçon de la marque invoquée -,  la partie en  défense  à l’action en contrefaçon peut-elle se voir ordonner la communication de toutes ces informations ?

C’est la question soumise à la Cour de Cassation qui par son arrêt du  13 décembre 2011,[ ici ]  a répondu par l’affirmative : « les dispositions de l’article L. 716-7-1 du code de la propriété intellectuelle permettent au juge de la mise en état d’ordonner les mesures qu’il prévoit , avant toute décision sur la matérialité de la contrefaçon ; »

 

Contrefaçon de marque, de dessin et modèle, de brevet : la preuve du lieu de destination des marchandises en transit pour l’intervention des douanes

A propos des marchandises en transit suspectées de contrefaçon et de la possibilité d’intervenir pour les douanes, la CJUE a rendu un arrêt le 1er décembre 2011 [ ici ], affaires C-446/09 et C-495/09,  qui souligne l’importance du lieu de destination de telles marchandises en Europe ou ailleurs, et toutes les conséquences à tirer de l’absence de cette indication ou de l’incertitude sur ce lieu :

 

Le règlement (CE)n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, tel que modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999, et le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, doivent être interprétés en ce sens que:

–        des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union européenne par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens desdits règlements en raison du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif;

–        ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union européenne, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou lorsqu’il ressort de documents ou d’une correspondance concernant ces marchandises qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé;

–        pour que l’autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l’existence d’une telle preuve et des autres éléments constitutifs d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l’autorité douanière saisie d’une demande d’intervention doit, dès qu’elle dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

–        parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union européenne est susceptible de se produire.

Contrefaçon de marque enregistrée par une autre marque enregistrée, le rôle de la marque ombrelle, le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé

 

La société B détient la marque ci-après, qui remonte à un dépôt du 26 mai 2005 :

La société L est titulaire d’une marque française postérieure pour l’avoir déposée le 6 avril 2007, cette seconde marque  est également enregistrée :

Ces deux enregistrements visent des fromages.

Un litige est né entre les parties, qui portait sur différentes questions du droit des marques. Parmi celles-ci, la société B considérait que l’exploitation de la seconde marque constituait la contrefaçon de la sienne.

La Cour d’appel a condamné effectivement la société L pour contrefaçon de la première marque.

Cette seconde société a formé un pourvoi en cassation.

La seconde marque était utilisée en combinaison avec la marque ombrelle « Président », l’existence de celle-ci ne permettait-elle pas au consommateur d’éviter tout risque de confusion entre les deux marques en cause ?

La Cour de Cassation le 2 novembre 2011 [ ici ] rejette le pourvoi en relevant que la Cour d’appel a bien intégré à la motivation de sa décision la présence de la marque ombrelle et son impact sur le consommateur moyen normalement informé :

Mais attendu qu’ayant relevé que la dénomination Cloche Saveur figurait sur l’emballage en gros caractères noirs se détachant sur un fond blanc, au-dessus de la marque ombrelle Président de sorte qu’elle occupait une place prépondérante et distinguait le produit d’autres de la gamme Président, la cour d’appel a souverainement apprécié que la présence d’éléments figuratifs sur cet emballage n’affectait pas la parenté forte qui se dégageait des deux signes et engendrait, dans l’esprit du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un risque de confusion quant à l’origine commune des deux dénominations, que renforçait l’identité des produits concernés

 

Contrefaçon de marque et exécution provisoire à payer les indemnités de contrefaçon au titulaire de la marque

En cas de contrefaçon de marque, le Tribunal condamne le contrefacteur à des dommages et intérêts.

Ces condamnations indemnitaires sont, de plus en plus souvent, prononcées avec exécution provisoire, c’est à dire que même si celui qui vient d’être condamné fait appel de ce jugement, il doit payer ces sommes.

La suspension de l'exécution provisoire un exercice périlleux

Néanmoins, il peut tenter d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire et ainsi espérer ne rien devoir payer confiant qu’il est dans ses arguments d’appel ou, au pire pour lui, ne s’acquitter de ces sommes qu’après que la Cour ait rendu son arrêt dans le cas où celle-ci confirmerait le jugement.

Mais pareille tentative nécessite de solides arguments.

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance du 25 octobre 2011, l’entreprise condamnée par le Tribunal n’a pas su convaincre le Conseiller.

Rappelons simplement qu’un jugement a condamné pour contrefaçon de marques une société :

  • – à payer au titulaire de ces marques la somme de 200 000 Euros,
  • – à différentes mesures d’interdiction sous astreinte de commercialiser la marque litigieuse,
  • – à des mesures de publications judiciaires,
  • – et aux frais de la procédure.
  • L’exécution provisoire a été prononcée pour le paiement des indemnités financières.

Cette société a fait appel du jugement. procédure dont il n’est pas question ici, et a demandé la suspension de l’exécution provisoire

A lire l’ordonnance, c’est à dire la décision de justice qui a examiné cette demande, cette société a invoqué deux types d’arguments :

– que la somme de 200.000 € mise à sa charge ne peut, en aucun cas, être réglée, excédant ses facultés contributives, que l’analyse des pièces comptables, bilans, comptes de résultat, démontre qu’il ‘leur’ est impossible de payer une telle somme,
– que le tribunal a infligé des dommages et intérêts démesurés, que le mode de raisonnement intellectuel et comptable est totalement erroné,

Pour cette société, cette exécution provisoire risquait d’entrainer « des conséquences manifestement excessives »

L’ordonnance pour rejeter cette motivation retient :

« Que la seule affirmation, par la demanderesse, de ce que ‘l’analyse des pièces comptables, bilans, comptes de résultat, démontre qu’il lui est impossible de payer la somme de 200.000 €’, sans autre explication, à l’audience, que la modestie de son chiffre d’affaires et de son ‘bénéfice’, ne constitue pas la preuve des conséquences manifestement excessives qu’elle invoque ;

La suspension de l’exécution provisoire n’est donc pas automatique, tout au contraire, de solides arguments sont requis.

Buckfast marque enregistrée pour désigner des abeilles : une marque valable qui néanmoins ne permet pas d’interdire son emploi par des tiers pour désigner des abeilles

L’arrêt du 2 novembre 2011 [ ici ]qui a cassé un arrêt de la Cour de Metz, a été rendu à propos d’une espèce d’abeille : la Buckfast dont le nom avait été déposé et enregistré comme marque française.Arrêt du 2 novembre 2011 Buckfast marque pour désigner des abeilles

Cette marque Buckfast remonte à 1981 pour désigner « Elevage de reines, d’abeilles et plus généralement d’animaux.Reines, abeilles et plus généralement des animaux vivants ».

A cette date, nous dit l’arrêt, cette lignée d’abeilles bien que sélectionnée depuis 1929 n’était pas connue en France où les publications faisant état de ces abeilles datent  de 2001, 2002, 2003.

En 2003, dans une revue spécialisée dédiée aux apiculteurs, sont offertes à la vente des ruches peuplées « Buckfast Luxembourg ».

Le titulaire de la marque Buckfast poursuit en contrefaçon l’auteur de l’annonce, la Cour de Metz lui donne raison.

  • Ce n’est pas l’application de l’article L 711-2 qui a justifié cette cassation.

On sait que cet article du Code de la propriété intellectuelle apprécie le caractère distinctif de la marque au jour du dépôt de la demande d’enregistrement.

Article L711-2

Le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés.

Sont dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;

c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage.

Certes en 1980 Buckfast était déjà la désignation nécessaire, générique ou usuelle de ces abeilles mais la preuve de cette désignation en France n’a pas été apportée par celui qui était poursuivi en contrefaçon, ce qu’a vérifié la Cour de Metz et que contrôle la Cour de Cassation.

  • La cassation va intervenir sur le fondement de l’article L 716-1 du Code de la propriété Intellectuelle.

Cet article  prévoit les atteintes aux droits de la marque par des renvois aux articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4.

Mais les interdictions édictées à ces articles connaissent les limites posées par l’article L713-6

Article L713-6

L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme :

a) Dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom patronymique ;

b) Référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine.

Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite.

Et c’est sur le point b) « b) Référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit » que la Cour de cassation va casser l’arrêt de la Cour de Metz.

Pour la Cour de Cassation, la Cour de Metz aurait dû vérifier si en 2003 « les termes  » buckfast  » et  » buck  » n’étaient pas devenus, dans le langage des professionnels de l’apiculture, nécessaires pour désigner un certain type d’abeilles »

Certes il ne s’agit pas là ni de l’expression prévue au point b de l’article L713-6 ni sans doute de la situation pour laquelle cet article a été prévu, mais la personne poursuivie en contrefaçon n’ayant pas demandé la déchéance de la marque pour perte de son caractère distinctif, la Cour de Cassation a étendu le champ des exceptions aux interdictions d’emplois par les tiers de la marque.