Commerce en ligne : une place de marché est-elle responsable des produits contrefaisants proposés par un tiers.

La place de marché participe-t-elle à l’atteinte à la marque quand le parfum vendu par un tiers n’a pas été autorisé à la vente dans l’Union par le titulaire de la marque ?

Cet arrêt rendu le 2 avril 2020 par la Cour de justice est d’autant plus d’actualité que le commerce en ligne explose avec les mesures de confinement et la place de marché en cause est celle du site Internet www.amazon.de

Deux sociétés du groupe Amazon se voient reprochées leur rôle par le titulaire des droits de marque. Amazon Service Europe qui offre à des vendeurs tiers la possibilité de publier, pour leurs produits, des offres de vente dans la partie « Amazon-Marketplace » du site Internet www.amazon.de. Et Amazon FC Graben, qui exploite un entrepôt.

Un contentieux en Allemagne

Le titulaire de  la licence de marque engage une action en Allemagne pour atteinte à la marque et demande que ces deux sociétés soient condamnées, sous peine de sanctions, à s’abstenir de détenir ou d’expédier, ou de faire détenir ou de faire expédier, en Allemagne, dans la vie des affaires, des parfums de la marque …. et à ce qu’elles soient condamnées pour avoir entreposé ces parfums pour le compte de cette société tierce ou de toute autre société non identifiée.

Le Landgericht rejette les demandes. Idem en appel.

Le titulaire de la licence forme un pourvoi.

Pour le Bundesgerichtshof se pose l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement no 207/2009 et de l’article 9, paragraphe 3, sous b), du règlement 2017/1001  qui prévoit différentes interdictions « b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe  » et partant de définir qui en sont les auteurs.

Cet arrêt est limité à cette situation particulière d’entreposage

34      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi, d’une part, que les parties défenderesses au principal n’ont fait qu’entreposer les produits concernés, sans les avoir offerts elles-mêmes à la vente ou les avoir mis dans le commerce et, d’autre part, qu’elles n’entendaient pas davantage offrir ces produits à la vente ou les mettre dans le commerce.

35      Il convient dès lors de déterminer si une telle opération d’entreposage peut être considérée comme un « usage » de la marque, au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 et de l’article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement 2017/1001 et, en particulier, comme le fait de « détenir » ces produits aux fins de leur offre ou de leur mise dans le commerce, au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement no 207/2009, dont la substance est reprise à l’article 9, paragraphe 3, sous b), du règlement 2017/1001.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que ni le règlement no 207/2009 ni le règlement 2017/1001 ne définissent la notion de « faire usage » au sens de l’article 9 de ces règlements.

37      La Cour a toutefois déjà eu l’occasion de souligner que, selon son sens habituel, l’expression « faire usage » implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage. À cet égard, elle a relevé que l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, dont la substance est reprise à l’article 9, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, qui énumère de manière non exhaustive les types d’usage que le titulaire de la marque peut interdire, mentionne exclusivement des comportements actifs de la part du tiers …..

38      La Cour a également rappelé que ces dispositions ont pour but de fournir au titulaire d’une marque un instrument légal lui permettant d’interdire, et ainsi de faire cesser, tout usage de sa marque qui est fait par un tiers sans son consentement. Cependant, seul un tiers qui a la maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage est effectivement en mesure de cesser cet usage et donc de se conformer à ladite interdiction …..

39      Elle a par ailleurs itérativement jugé que l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque du titulaire par un tiers implique, à tout le moins, que ce dernier fasse une utilisation du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale. Une personne peut ainsi permettre à ses clients de faire usage de signes identiques ou similaires à des marques, sans faire elle-même un usage desdits signes …..

La Cour s’est déjà prononcée dans des situations analogues

40      C’est ainsi que la Cour a considéré, s’agissant de l’exploitation d’une plateforme de commerce en ligne, que l’usage de signes identiques ou similaires à des marques, dans des offres à la vente affichées sur une place de marché en ligne, est fait par les clients vendeurs de l’exploitant de cette place de marché et non par cet exploitant lui-même…….

41      Elle a également relevé, s’agissant d’une entreprise dont l’activité principale est le remplissage de canettes avec des boissons produites par elle-même ou par des tiers, qu’un prestataire de service qui se limite à remplir, sur commande et sur les instructions d’un tiers, des canettes déjà pourvues de signes similaires à des marques et donc à exécuter simplement une partie technique du processus de production du produit final, sans avoir le moindre intérêt dans la présentation externe desdites canettes et notamment dans les signes y figurant, ne fait pas lui-même un « usage » de ces signes mais crée uniquement les conditions techniques nécessaires pour que ce tiers puisse faire un tel usage ……

42      De même, la Cour a jugé que, si un opérateur économique, qui importe ou remet à un entrepositaire, en vue de leur mise dans le commerce, des marchandises revêtues d’une marque dont il n’est pas titulaire, fait « usage » d’un signe identique à cette marque, tel n’est pas nécessairement le cas de l’entrepositaire qui fournit un service d’entreposage des marchandises revêtues de la marque d’autrui …………..

43      En effet, le fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service ne signifie pas que celui qui rend ce service fasse lui-même un usage dudit signe …..

L’entreposage peut amener son auteur à se voir reconnaitre responsable par sa maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage

45      Il s’ensuit que, pour que l’entreposage de produits revêtus de signes identiques ou similaires à des marques puisse être qualifié d’« usage » de ces signes, encore faut-il, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 67 de ses conclusions, que l’opérateur économique effectuant cet entreposage poursuive lui-même la finalité visée par ces dispositions, qui consiste en l’offre de produits ou en leur mise dans le commerce.

46      À défaut, il ne saurait être considéré que l’acte constituant l’usage de la marque est le fait de cette personne, ni que le signe soit utilisé dans le cadre de sa propre communication commerciale.

47      Or, en l’occurrence, s’agissant des parties défenderesses au principal, ainsi qu’il a été relevé au point 34 du présent arrêt, la juridiction de renvoi indique sans ambigüité que celles-ci n’ont pas elles-mêmes offert les produits concernés à la vente ni ne les ont mis dans le commerce, celle-ci précisant, du reste, dans le libellé de sa question, que c’est le tiers qui, seul, entend offrir les produits ou les mettre dans le commerce. Il s’ensuit qu’elles ne font pas, elles-mêmes, usage du signe dans le cadre de leur propre communication commerciale.

Le droit dit par la Cour de Justice

L’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne], et l’article 9, paragraphe 3, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’une personne qui entrepose pour un tiers des produits portant atteinte à un droit de marque sans avoir connaissance de cette atteinte doit être considérée comme ne détenant pas ces produits aux fins de leur offre ou de leur mise dans le commerce au sens de ces dispositions si cette personne ne poursuit pas elle-même ces finalités.

 

Interdiction de vente sur Internet sanctionnée par l’Autorité de la Concurrence

La décision rendue le 12 décembre 2012 par l’Autorité de la Concurrence intéresse les titulaires de marque à propos de l’interdiction  de la vente sur internet.

L’article en cause du contrat de distribution sélective

6.1 Le Distributeur s’engage à n’offrir à la vente les produits BANG & OLUFSEN qu’aux consommateurs et aux autres distributeurs agréés BANG & OLUFSEN situés dans le Territoire. La distribution de produits BANG & OLUFSEN par correspondance n’est pas autorisée. »

17 avril 2001 : lettre de BANG & OLUFSEN à la Direction nationale des enquêtes de concurrence

……..

Ces spécificités propres à Bang & Olufsen et qui sont l’âme de la marque exigent un conseil adapté auprès du consommateur et c’est la raison pour laquelle la médiation du revendeur nous parait une absolue nécessité. Cela semble être également une évidence pour nos revendeurs puisque nous n’avons jamais eu à traiter de ventes par internet avec aucun de nos revendeurs

La décision du 12 décembre de l’Autorité de la Concurrence retient une infraction aux dispositions des articles 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du code de commerce et notamment ordonne « dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, à la modification de ses contrats de distribution sélective existants ou à la diffusion d’une circulaire générale, afin de stipuler, en termes clairs, que les distributeurs agréés membres de son réseau de distribution sélective ont la possibilité de recourir à la vente par Internet ».

Un recours sera-t-il déposé devant la Cour de Paris ?

 

Conditions pour que le titulaire de la marque s’oppose à l’emploi de celle-ci en cas de revente de produits d’occasion.

Dans un post précédent, il a été rappelé comment la CJUE a indiqué des motifs légitimes pouvant permettre au titulaire de la marque de s’opposer à l’emploi du même signe.

Sur Internet, la CJUE a déjà illustré cette situation avec le système « AdWords » de Google dans son arrêt du 8 juillet 2010, C-558/08, rendu également sur une question préjudicielle relative à l’application de la Directive 89/104. Et aussi  pour des produits d’occasion.


Portakabin Ltd est producteur ainsi que fournisseur de bâtiments mobiles et est titulaire de la marque Benelux PORTAKABIN, enregistrée pour des produits des classes 6 (bâtiments, pièces détachées et matériaux de construction, en métal) et 19 (bâtiments, pièces détachées et matériaux de construction, autres qu’en métal).

Primakabin vend et loue des bâtiments mobiles neufs et d’occasion. Certains de ces modules peuvent avoir été fabriqués par Portakabin.

L’une et l’autre de ces entreprises sont présentes sur Internet par leur site respectif.

En utilisant « Adwords », Primakabin a sélectionné les mots clés «portakabin», «portacabin», «portokabin» et «portocabin».

Portakabin engage une procédure aux Pays-Bas contre ces emplois.

Le premier juge rejette la demande, le second en appel fait interdiction à Primakabin d’utiliser :

  • le texte d’une publicité qui indique « portakabins d’occasion »
  • le  mot-clé « portakabin » et ses variantes pour diriger des liens vers son site présentant à la vente des  modules fabriqués par Portakabin.

Saisi d’un pourvoi de Primakadin, la juridiction hollandaise, le Hoge Raad des Nederlander, interroge la Cour de Justice sur différentes questions préjudicielles .

A propos du système « AdWords » avec  mots clefs, la Cour se réfère à son précédent arrêt du 23 mars 2010, Google France et Google (C‑236/08 à C‑238/08) sur les deux fonctions de la marque en cause ici :

  • En ce qui concerne la fonction de publicité, la Cour a constaté que l’usage d’un signe identique à une marque d’autrui dans le cadre d’un service de référencement tel qu’«AdWords» n’est pas susceptible de porter atteinte à cette fonction de la marque
  • Concernant la fonction d’indication d’origine, la Cour a considéré que la question de savoir s’il y a une atteinte à cette fonction lorsqu’est montrée aux internautes, à partir d’un mot clé identique à une marque, une annonce d’un tiers, dépend en particulier de la façon dont cette annonce est présentée. Il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque l’annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers,

Et de préciser les types de comportements illégitimes qui portent atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque :

  • lorsque l’annonce du tiers suggère l’existence d’un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque,
  • lorsque l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique, reste à tel point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui est joint à celui-ci, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci,

Pour les produits d’occasion, la Cour rappellent les intérêts en cause:

  • l’intérêt des opérateurs économiques ainsi que des consommateurs à ce que les ventes de produits d’occasion sur Internet ne soient pas indûment restreintes,
  • le besoin d’une communication transparente sur l’origine de tels produits
  • et, troisièmement, le fait que l’annonce de Primakabin libellée «portakabins d’occasion» menait l’internaute non seulement vers des offres de revente de produits fabriqués par Portakabin, mais également vers des offres de revente de produits d’autres fabricants.

Se retrouvent pour chacun d’eux d’utiles précisions et nuances :

1°) Tenir compte du fait que la vente de produits d’occasion revêtus d’une marque est une forme de commerce bien établie, dont le consommateur moyen est familier.

… il ne saurait être constaté, sur la base du seul fait qu’un annonceur utilise la marque d’autrui avec l’ajout de termes indiquant que le produit concerné fait l’objet d’une revente, tels que «usagé» ou «d’occasion», que l’annonce laisse penser qu’il existe un lien économique entre le revendeur et le titulaire de la marque ou porte une atteinte sérieuse à la renommée de celle-ci.

2°) Sur la pratique d’enlever la marque du fabricant pour la remplacer par celle du vendeur du produit d’occasion.

… lorsque le revendeur enlève, sans le consentement du titulaire d’une marque, la mention de cette marque sur les produits (démarquage) et remplace cette mention par une étiquette portant le nom du revendeur, de sorte que la marque du fabriquant des produits concernés soit entièrement dissimulée, le titulaire de la marque est habilité à s’opposer à ce que le revendeur utilise ladite marque pour annoncer cette revente. En effet, en pareil cas, il existe une atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est d’indiquer et de garantir l’origine du produit et il est fait obstacle à ce que le consommateur distingue les produits provenant du titulaire de la marque de ceux provenant du revendeur ou d’autres tiers

3°) L’emploi de la marque d’autrui sur les publicités du revendeur d’occasion est possible mais sous certaines conditions.

… qu’un revendeur qui commercialise des produits d’occasion d’une marque d’autrui et qui est spécialisé dans la vente de ces produits, peut difficilement communiquer cette information à ses clients potentiels sans faire usage de cette marque

Dans ces circonstances caractérisées par une spécialisation dans la revente de produits d’une marque d’autrui, il ne saurait être interdit au revendeur de faire usage de cette marque en vue d’annoncer au public ses activités de revente qui incluent, outre la vente de produits d’occasion de ladite marque, la vente d’autres produits d’occasion, à moins que la revente de ces autres produits ne risque, eu égard à son volume, à sa présentation ou à sa mauvaise qualité, d’amoindrir gravement l’image que le titulaire a réussi à créer autour de sa marque.

Vente en ligne, produits marqués, emballages modifiés, nécessité de mise en oeuvre de dispositif préventif : l’arrêt du 12 juillet de la CJUE

Le commerce en ligne par les marques qu’il emploie, est régulièrement soumis au contrôle de la Cour de Justice.

Les juges de la Cour de Justice de l'Union européenne
Les juges de la Cour de Justice, source : curia.europa.eu

 

L’arrêt rendu le 12 juillet par la CJUE est important parce qu’il :

  • a été rendu par la Grande Chambre de la CJUE
  • s’applique à la vente en ligne
  • concerne la vente en ligne et en direction de l’Union Européenne de produits marqués qui n’avaient pas été mis sur le marché européen par leur titulaire
  • porte sur l’emploi de la marque dans la publicité
  • apporte une précision importante sur la situation de l’exploitant d’une place de marché en ligne au regard de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce en ligne, et le régime d’exonération  de responsabilité après sa connaissance des faits illicites
  • prévoit que les juridictions nationales puissent ordonner contre les places de marché en ligne :

– non seulement de faire cesser des pratiques illicites

– mais également de mettre en place des dispositifs préventifs

 

1)      Lorsque des produits situés dans un État tiers, revêtus d’une marque enregistrée dans un État membre de l’Union ou d’une marque communautaire et non auparavant commercialisés dans l’Espace économique européen ou, en cas de marque communautaire, non auparavant commercialisés dans l’Union, sont vendus par un opérateur économique au moyen d’une place de marché en ligne et sans le consentement du titulaire de cette marque à un consommateur situé sur le territoire couvert par ladite marque ou font l’objet d’une offre à la vente ou d’une publicité sur une telle place destinée à des consommateurs situés sur ce territoire, ledit titulaire peut s’opposer à cette vente, à cette offre à la vente ou à cette publicité en vertu des règles énoncées à l’article 5 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, telle que modifiée par l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, ou à l’article 9 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire. Il incombe aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas s’il existe des indices pertinents pour conclure qu’une offre à la vente ou une publicité affichée sur une place de marché en ligne accessible sur ledit territoire est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci.
2)      La fourniture par le titulaire d’une marque, à ses distributeurs agréés, d’objets revêtus de celle-ci, destinés à la démonstration aux consommateurs dans les points de vente agréés, ainsi que de flacons revêtus de cette marque, dont de petites quantités peuvent être prélevées pour être données aux consommateurs en tant qu’échantillons gratuits, ne constitue pas, en l’absence d’éléments probants contraires, une mise dans le commerce au sens de la directive 89/104 ou du règlement n° 40/94.
3)      Les articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque peut, en vertu du droit exclusif conféré par celle-ci, s’opposer à la revente de produits, tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, au motif que le revendeur a retiré l’emballage de ces produits, lorsque ce déconditionnement a pour conséquence que des informations essentielles, telles que celles relatives à l’identification du fabricant ou du responsable de la mise sur le marché du produit cosmétique, font défaut. Lorsque le retrait de l’emballage n’a pas conduit à un tel défaut d’informations, le titulaire de la marque peut néanmoins s’opposer à ce qu’un parfum ou un produit cosmétique revêtu de la marque dont il est titulaire soit revendu dans un état déconditionné, s’il établit que le retrait de l’emballage a porté atteinte à l’image dudit produit et, ainsi, à la réputation de la marque.
4)      Les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à l’exploitant d’une place de marché en ligne de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet exploitant a sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits de cette marque mis en vente sur ladite place de marché, lorsque cette publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.
5)      L’exploitant d’une place de marché en ligne ne fait pas un «usage», au sens des articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94, des signes identiques ou similaires à des marques qui apparaissent dans des offres à la vente affichées sur son site.
6)      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à l’exploitant d’une place de marché en ligne lorsque celui-ci n’a pas joué un rôle actif qui lui permette d’avoir une connaissance ou un contrôle des données stockées.
Ledit exploitant joue un tel rôle quand il prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci.
Lorsque l’exploitant de la place de marché en ligne n’a pas joué un rôle actif au sens visé à l’alinéa précédent et que sa prestation de service relève, par conséquent, du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, il ne saurait néanmoins, dans une affaire pouvant résulter dans une condamnation au paiement de dommages et intérêts, se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition s’il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente en cause et, dans l’hypothèse d’une telle connaissance, n’a pas promptement agi conformément au paragraphe 1, sous b), dudit article 14.
7)      L’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il exige des États membres d’assurer que les juridictions nationales compétentes en matière de protection des droits de la propriété intellectuelle puissent enjoindre à l’exploitant d’une place de marché en ligne de prendre des mesures qui contribuent, non seulement à mettre fin aux atteintes portées à ces droits par des utilisateurs de cette place de marché, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature. Ces injonctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et ne doivent pas créer d’obstacles au commerce légitime.

Produits de soin : l’interdiction absolue de vente sur Internet est-elle illicite ou bien le risque de l’augmentation de la contrefaçon pourrait-il la justifier ?

L’avocat général près de la CJCE vient de rendre ses conclusions, le 2 mars 2011,  à propos de l’interdiction absolue de vendre sur Internet les produits cosmétiques qu’impose le laboratoire Perre Fabre à ses distributeurs.

L’historique de cette affaire soumise au droit de la concurrence est suffisamment compliqué et détaillé à l’arrêt  pour s’y reporter.

Les biens en cause sont « des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle qui sont distribués dans le cadre de systèmes de distribution sélective et sont proposés à la vente avec l’avis d’un pharmacien ».

Pierre Fabre entend justifier principalement sa position :

«La conception de ces produits nécessite le conseil d’un spécialiste pharmacien du fait de l’activité de ces produits développés dans une optique de soin. (….) Nos produits répondent à des problématiques de eau particulières, comme des peaux intolérantes, avec un risque de réaction allergique. Nous considérons de ce fait que la vente sur Internet ne répondrait pas aux attentes des consommateurs et des professionnels de santé sur nos produits et par conséquent aux exigences que nous fixons dans nos conditions générales de vente. Ces produits sont aussi recommandés par le corps médical …»

L’avocat général retient que de tels ;

« produits n’étant pas répertoriés comme des médicaments et ne relevant pas, par conséquent, du monopole des pharmaciens, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient librement commercialisés en dehors du circuit officinal« .

et de considérer :

qu’une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet des biens aux utilisateurs finals, imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, qui prévient ou restreint le commerce parallèle de façon plus extensive que les restrictions inhérentes à tout accord de distribution sélective et qui va au-delà de ce qui est objectivement nécessaire pour distribuer ces produits d’une manière appropriée au regard non seulement de leurs qualités matérielles mais aussi de leur aura ou image, a pour objet de restreindre la concurrence aux fins de l’article 81, paragraphe 1, CE

L’avocat général va aussi écarter successivement l’exemption au titre de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 en refusant d’assimiler l’interdiction de la vente sur Internet à « une interdiction  de déplacer ses locaux/point de vente sans l’autorisation préalable du fabricant » et l’exemption individuelle.

Mais tout n’est pas dit.  Pierre Fabre Santé invoque aussi « le risque accru de contrefaçons de produits en cas de vente sur Internet« .

Certes, l’avocat général indique ne pas être « persuadé que la distribution via Internet de produits contractuels d’un fabricant par un distributeur sélectionné puisse à elle seule aboutir à accroître la contrefaçon, ni que les effets négatifs de telles ventes ne puissent pas être contrecarrés par des mesures appropriées »

Mais il laisse à la Cour l’appréciation factuelle de cette question .

La question reste ainsi ouverte devant la Cour.