Les conflits entre les marques et les indications géographiques sont fréquents. Généralement en Europe, la solution est donnée par les directives et règlements applicables.
L’arrêt rendu le 14 juillet par la CJUE, C-4/10 et C-27/10, met en œuvre également les ADPIC pour dégager « des conditions uniformes d’exécution d’une règle » dans le temps.
Les dates
19 décembre 2001 : dépôt devant l’office finlandais de deux demandes de marque par une société finlandaise.
Ces deux marques portent sur des étiquettes qui présentent des parties verbales :
– pour l’une : «COGNAC L & P HIENOA KONJAKKIA Lignell & Piispanen Product of France 40 % Vol 500 ml »
– pour l’autre : «KAHVI-KONJAKKI Cafe Cognac Likööri – Likör – Liqueur 21 % Vol Lignell & Piispanen 500 ml».
31 janvier 2003 : l’office accepte ces demandes.
10 septembre 2004 : le Bureau interprofessionnel du Cognac fait opposition à ces deux enregistrements : l’opposition est rejetée pour le premier mais pour le second, l’opposition est acceptée.
22 octobre 2007 : la Chambre de recours de l’office renverse la situation au détriment du Bureau interprofessionnel du Cognac : les deux marques sont validées.
Le Bureau interprofessionnel du Cognac saisit la Cour administrative finlandaise qui va interroger la CJUE de différentes questions préjudicielles.
Une seule question préjudicielle retient notre attention. A son occasion la Cour va dégager « des conditions uniformes d’exécution d’une règle déjà en vigueur dans le droit de l’Union » avant la date d’entrée en vigueur du règlement dont l’application est demandée.
Voyons la démarche méthodologique suivie par la Cour !
S’il n’était pas discuté que « Cognac » puisse bénéficier de la protection du règlement n° 110/2008 pour s’opposer à des enregistrements à titre de marque, – l’indication géographique Cognac est prévue à son annexe III – , la difficulté rencontrée par le juge finlandais portait sur la date de l’entrée en vigueur de ce règlement : le 20 mai 2008 (l’arrêt indique au point 20, le 20 février 2008), c’est à dire postérieurement à la date des dépôts des deux demandes.
La Cour de justice va procéder en deux temps :
- Elle va rechercher si le règlement a prévu de s’appliquer à des situations antérieures : ce qu’elle va trouver effectivement avec l’article 23 qui tient compte des situations antérieures en permettant le maintient d’une marque qui entre en conflit avec une indication géographique et qui a été enregistrée :
– soit avant la date de protection de l’indication géographique
– soit avant le 1er janvier 1996.
- Elle vérifie que les indications géographiques étaient protégées antérieurement à la date d’entrée en vigueur du règlement en invoquant ….. les accords ADPIC :
« le règlement n° 110/2008 aux indications géographiques s’inscrit dans le prolongement de celle déjà garantie par le règlement n° 3378/94, lequel avait introduit dans le règlement n° 1576/89, avec effet au 1er janvier 1996, un article 11 bis ».
…
En vertu du paragraphe 1 dudit article 11 bis, les États membres étaient tenus de prendre toutes les mesures nécessaires permettant aux intéressés d’empêcher, dans les conditions prévues aux articles 23 et 24 de l’accord ADPIC, l’utilisation dans la Communauté d’une indication géographique pour des produits n’étant pas originaires du lieu indiqué par ladite indication. Or, l’article 23, paragraphe 2, de cet accord prévoit que l’enregistrement d’une marque contenant ou constituée par une indication géographique identifiant des boissons spiritueuses doit être refusé ou invalidé en ce qui concerne les boissons spiritueuses qui n’ont pas cette origine, tandis que l’article 24, paragraphe 5, dudit accord énonce une dérogation au bénéfice des marques enregistrées ou acquises de bonne foi avant l’entrée en vigueur de l’accord lui-même ou avant que l’indication géographique ne soit protégée.
Pour conclure : à compter du 1er janvier 1996, date de l’entrée en vigueur du règlement n° 3378/94, les règles de protection des indications géographiques prévues par l’accord ADPIC avaient été incorporées dans le droit de l’Union.
Pour la Cour :
ce règlement « ne fait qu’établir des conditions uniformes d’exécution d’une règle déjà en vigueur dans le droit de l’Union, tandis que le paragraphe 2 du même article maintient les dérogations temporelles déjà reconnues par le droit de l’Union.«
Il s’ensuit que l’application de ces dispositions ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique ni à celui de protection de la confiance légitime des intéressés.
Le lecteur attentif aura noté comme le relève la Cour, que :
le terme «Cognac», inclus dans les marques dont l’enregistrement est à l’origine des litiges au principal, figure tant dans l’annexe III du règlement n° 110/2008 que dans l’annexe II du règlement n° 1576/89 en tant qu’indication géographique identifiant une boisson spiritueuse originaire de France. Indépendamment de la protection dont il bénéficie en droit français, le terme «Cognac» est donc protégé en tant qu’indication géographique dans le droit de l’Union depuis le 15 juin 1989, date à laquelle le règlement n° 1576/89 est entré en vigueur