L’attaque britannique contre la classification de Nice

La Grande Chambre de la Cour de l’Union a rendu ce 19 juin 2012 un arrêt d’une grande importance, il touche à un pilier du droit des marques la classification de Nice.

Cet arrêt est rendu sur une question préjudicielle de la juridiction anglaise des marques à propos de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques.

Mais cet arrêt a été rendu sur un litige initié par un groupement d’agents de marques britanniques.

Les faites, leur chronologie et quelques commentaires sur cette attaque de la classification de Nice

16 octobre 2009 : the Chartered Institute of Patent Attorneys, CIPA,  dépose la demande de marque britannique «IP TRANSLATOR»

Avec l’indication des termes généraux de l’intitulé de la classe 41 de la classification de Nice : «Éducation; formation; divertissement; activités sportives et culturelles».

Notons, ici, un point important sur le CIPA : comme l’indique son site

CIPA was founded in 1882 and was incorporated by Royal Charter in 1891. It represents virtually all the 2,000+ registered patent attorneys in the UK whether they practise in industry or in private practice. Total membership is over 3,300 and includes trainee patent attorneys and other professionals with an interest in intellectual property (patents, trade marks, designs and copyright)”.

12 février 2010 : refus de l’examinateur qui comprend cette demande de marque comme couvrant non seulement des services précisé, mais également tout autre service relevant de la classe 41 de la classification de Nice,

Comme dans cette classe 41 figuent également  les services de traduction, la dénomination «IP TRANSLATOR», serait dépourvue de caractère distinctif. La lecture de l’arrêt ne précise pas si toute la demande est rejetée ou si elle l’est uniquement pour ces services de traduction.

25 février 2010 : CIPA fait appel de cette décision devant  The Person Appointed by the Lord Chancellor juridiction qui va poser cette question préjudicielle.

A l’appui de cet appel, CIPA soutient que sa demande d’enregistrement n’indique pas et donc ne couvre pas les services de traduction relevant de ladite classe 41.

Cette juridiction britannique alimente l’attaque contre la classification de Nice

–          Il est incontesté que les services de traduction ne sont pas considérés, habituellement, comme une sous-catégorie des services d’«éducation», de «formation», de «divertissement», d’«activités sportives» ou d’«activités culturelles».

–          Outre la liste alphabétique des produits et des services contenant 167 entrées détaillant les services relevant de la classe 41 de la classification de Nice, la base de données gérée par le Registrar comprend plus de 2 000 entrées détaillant les services relevant de cette classe 41, et la base de données Euroace, gérée par l’OHMI aux fins du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), en contient plus de 3 000.

–          Si l’approche retenue par le Registrar était correcte, toutes ces entrées, y compris les services de traduction, seraient couvertes par la demande d’enregistrement du CIPA. Dans ce cas, cette demande couvrirait des produits ou des services qui ne sont pas mentionnés dans celle-ci ni dans aucun enregistrement en résultant.

–          Une enquête menée au cours de l’année 2008 par l’Association of European Trade Mark Owners (Marques), laquelle a montré que la pratique varie selon les États membres, certaines autorités compétentes appliquant l’approche interprétative prévue par la communication n° 4/03, tandis que d’autres retiennent une approche différente.

Et dans les questions préjudicielles, on notera aussi la référence à une communication de l’OHMI bien que la marque en cause soit une demande nationale.

«Dans le cadre de la directive 2008/95 […]:

1)      Est-il nécessaire que les divers produits ou services couverts par une demande de marque soient identifiés avec clarté et précision, et, dans l’affirmative, jusqu’à quel point précisément?

2)      Est-il admissible d’utiliser les termes généraux des intitulés de classes de la classification [de Nice] afin d’identifier les divers produits ou services couverts par une demande de marque?

3)      Est-il nécessaire ou admissible qu’une telle utilisation des termes généraux des intitulés de classes de ladite classification […] soit interprétée conformément à la communication n° 4/03 […]?»

Voyons maintenant comment la Cour de Justice a sauvé la classification de Nice

Quelles preuves doit apporter le déposant pour établir le caractère distinctif d’une demande de marque tridimensionnelle ?

La marque tridimensionnelle peut-elle acquérir un caractère distinctif mais avec quelles preuves ? L’arrêt du 24 mai 2012 nous donne quelques précisions.

  • La demande de marque communautaire

Le 18 mai 2004 : Liindt présente une demande de marque communautaire :

Pour «Chocolat, produits en chocolat».

  • Les décisions antérieurs à l’arrêt de la Cour du 24 mai 2012

14 octobre 2005 : l’examinateur de l’OHMI rejette la demande.

11 juin 2008 : la quatrième chambre de  recours de l’OHMI rejette le recours de Lindt.

18 août 2008 : recours de Lindt devant e Tribunal.

17 décembre 2010 : le Tribunal rejette le recours, c’est cette décision du Tribunal qui est examinée par la Cour dans son arrêt du 24 mai 2012.

En nous reportant à l’arrêt du 24 mai 2012, voyons comment a décidé le Tribunal : le débat sur l’acquisition du caractère distinctif hors de l’Allemagne ne peut pas être établi uniquement sur 3 Etats.

……, le Tribunal a rejeté, au point 67 de l’arrêt attaqué, l’argument de la requérante selon lequel, en dehors de l’Allemagne, le lapin de Pâques en chocolat est largement inconnu et, de ce fait, aurait un caractère distinctif intrinsèque dans les autres États membres. Il est notoire, selon le Tribunal, que les lapins en chocolat, qui sont surtout vendus en période de Pâques, ne sont pas inconnus en dehors de l’Allemagne.

21      Le Tribunal a donc considéré, au point 68 de l’arrêt attaqué, qu’il y a lieu de présumer que, en l’absence d’indices concrets en sens contraire, l’impression que crée dans l’esprit du consommateur la marque dont l’enregistrement est demandé, qui consiste en un signe tridimensionnel, est la même dans toute l’Union et, ainsi, que cette marque est dépourvue de caractère distinctif sur l’ensemble du territoire de l’Union.

22      Au point 69 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que c’est donc dans toute l’Union que ladite marque doit avoir acquis un caractère distinctif par l’usage pour être enregistrable en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94.

23      Or, le Tribunal a relevé au point 70 de l’arrêt attaqué que, à supposer même que la requérante démontre le caractère distinctif du signe en cause acquis par l’usage dans les trois États membres qu’elle cite, à savoir en Allemagne, en Autriche et au Royaume-Uni, les pièces justificatives fournies par celle-ci ne sont pas susceptibles de rapporter la preuve que ce signe a acquis un caractère distinctif dans tous les États membres à la date de l’introduction de la demande d’enregistrement de la marque en cause.

24      Dans ces circonstances, le Tribunal a jugé, au point 71 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si les pièces démontrent effectivement l’existence du caractère distinctif du signe en cause acquis par l’usage dans les trois États membres invoqués par la requérante, car cela ne suffirait pas pour démontrer l’acquisition, par ce signe, d’un caractère distinctif par l’usage dans toute l’Union.

25      Par conséquent, le second moyen a également été rejeté par le Tribunal.

  • Pour rejeter le pourvoi contre cet arrêt, la Cour le 24 mai motive ainsi sa décision

 

Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94, le motif absolu de refus t visé à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement ne s’oppose pas à l’enregistrement d’une marque si celle-ci, pour les produits ou les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé, a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait.

60      La Cour a déjà jugé qu’une marque ne peut être enregistrée en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94 que si la preuve est rapportée qu’elle a acquis, par l’usage qui en a été fait, un caractère distinctif dans la partie de l’Union dans laquelle elle n’avait pas ab initio un tel caractère (voir arrêt du 22 juin 2006, Storck/OHMI, C‑25/05, précité, point 83).

61      C’est en application de cette jurisprudence que le Tribunal est parvenu à la conclusion, figurant au point 69 de l’arrêt attaqué, que la marque dont l’enregistrement est demandé doit avoir acquis un caractère distinctif par l’usage dans toute l’Union. Cette conclusion n’est entachée d’aucune erreur de droit dans la mesure où, comme il découle des points 51 et 68 de l’arrêt attaqué, lus ensemble, la requérante n’est pas parvenue à établir que ladite marque était dotée d’un caractère distinctif intrinsèque et que cette constatation était valable pour l’ensemble du territoire de l’Union. Pour cette raison, ne sauraient être accueillis l’argument de la requérante ainsi que les données statistiques fournies par celle-ci à l’appui dudit argument, selon lequel la marque dont l’enregistrement est demandé posséderait un caractère distinctif intrinsèque dans quinze États membres et que, dès lors, dans ces États, l’acquisition, par celle-ci, d’un caractère distinctif par l’usage ne devrait pas être exigée.

62      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel, la marque communautaire ayant un caractère unitaire, l’appréciation de l’acquisition, par une marque, d’un caractère distinctif par l’usage ne devrait pas se fonder sur les marchés nationaux pris individuellement, il convient de relever que, même s’il est vrai, conformément à la jurisprudence rappelée au point 60 du présent arrêt, que l’acquisition, par une marque, d’un caractère distinctif par l’usage doit être démontrée pour la partie de l’Union dans laquelle cette marque n’avait pas ab initio un tel caractère, il serait excessif d’exiger que la preuve d’une telle acquisition soit apportée pour chaque État membre pris individuellement.

63      Toutefois, pour ce qui est du cas d’espèce, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit puisque, en tout état de cause, la requérante n’a pas prouvé de manière quantitativement suffisante l’acquisition, par la marque dont l’enregistrement est demandé, d’un caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble du territoire de l’Union.

64      Dès lors, il y a lieu de rejeter le second moyen comme non fondé.

65      Dans ces conditions, le présent pourvoi doit être rejeté.

Titularité des droits d’auteur et exploitation antérieure, l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mai

La titularité des droits d’auteur offre l’occasion à de nombreux débats judiciaires, l’arrêt rendu le 4 mai par la Cour de cassation précise cette problématique au regard d’une exploitation antérieure.

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… déclare avoir créé des modèles de sandales qu’il a fait fabriquer en Thaïlande et qu’il commercialise en France avec la SARL La Marine, dans des braderies et sur les marchés ; qu’ayant constaté le 23 juin 2004, que des modèles de sandales reprenant, selon lui, les caractéristiques de ses modèles étaient offerts à la vente, lors de la braderie de Rennes, sur le stand tenu par Mme Y…et M. Z…, il a fait assigner ces derniers en contrefaçon de ses droits d’auteur et en concurrence déloyale, que la SARL La Marine est intervenue volontairement à l’instance ;

Sur le second moyen :

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir débouté M. X… et la société La Marine de leur action en concurrence déloyale, alors, selon le moyen, qu’est constitutive d’une telle concurrence la commercialisation d’un produit sous une présentation de nature à générer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine des produits ; qu’en se bornant à relever que le nom commercial  » La Tresse  » ne prêterait pas à confusion avec la dénomination  » La Marine « , sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si ce terme ne rappelait pas le slogan utilisé par M. X… depuis nombreuses années, et si la reprise de cet élément de communication pour commercialiser des copies serviles des produits exploités par M. X… et la société La Marine n’était pas de nature à entraîner un risque de confusion dans l’esprit du public, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel qui a procédé à un examen précis des conditions dans lesquelles les sandales étaient présentées sur le stand tenu par la société La Marine et sur celui tenu par Mme Y…et M. Z…, et qui a pris en considération les dénominations utilisées par les parties pour accompagner la vente de leurs produits, a souverainement estimé que la clientèle n’était pas exposée à un risque de confusion ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l’article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que l’exploitation non équivoque d’une oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom et en l’absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l’égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l’oeuvre du droit de propriété incorporelle ;

Attendu que pour débouter M. X… de son action en contrefaçon, l’arrêt constate que celui-ci n’apportait aucun élément de nature à justifier de sa qualité d’auteur et retient qu’il n’était pas présumé titulaire des droits d’exploitation des modèles en cause qui avaient été vendus par des tiers à La Réunion et sur le marché de Chatuchak à Bangkok, avant qu’il ne commençât à les commercialiser ;

Qu’en statuant ainsi alors qu’il résultait de ses propres constatations, que M. X… justifiait d’actes non équivoques d’exploitation en France métropolitaine depuis juin 2001, la cour d’appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale, l’arrêt rendu le 2 décembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers ;

Condamne M. Z…et Mme Y…aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

L’arrêt du 3 mai 2012 de la Cour de Cassation relance de nombreux débats sur les marques et Internet

L’arrêt du 3 mai 2012 de la Cour de Cassation relance de nombreux débats ……..

  • Un bref rappel des faits

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums, Parfums Givenchy et Guerlain (les sociétés DKGG), qui commercialisent leurs produits dans le cadre de réseaux de distribution sélective, ayant fait constater que, par l’intermédiaire des sites d’enchères en ligne des sociétés eBay Inc et eBay AG, des annonceurs offraient à la vente des produits Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo, ont assigné ces deux sociétés devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamnées au paiement de dommages-intérêts et de voir prononcer des mesures d’interdiction ; que les sociétés eBay Inc et eBay AG ( les sociétés eBay) ont soulevé l’incompétence de la juridiction française et la nullité des « constats » dressés par les agents de l’Agence pour la protection des programmes ;

Nous avions déjà eu quelques commentaires en 2008 sur ce jugement


  • Les constats sur Internet autre que ceux des huissiers

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur demande tendant à l’annulation de ces constats et leur rejet des débats, alors, selon le moyen, que les constats établis par les agents de l’Agence pour la protection des programmes relatifs à la constatation de faits qui ne relèvent pas de leur champ de compétence, s’étendant aux infractions liées au droit d’auteur, à ses droits voisins et aux droits des producteurs de données, sont nuls ; qu’un acte nul ne saurait produire aucun effet juridique ; qu’en jugeant néanmoins que les constats établis par les agents de l’APP à la demande de la société Louis Vuitton Malletier, concernant des faits qui seraient constitutifs d’une atteinte au droit des marques, constituaient des éléments de preuve et en se fondant sur eux pour retenir sa compétence puis la responsabilité des sociétés eBay, la cour d’appel a violé l’article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la preuve de faits juridiques pouvant être rapportée par tous moyens, la cour d’appel a pu retenir que les constatations de l’Agence pour la protection des programmes valaient à titre de simple renseignement ; que le moyen n’est pas fondé ;

  • Quel juge est compétent ?

Sur le troisième moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir dit la société eBay International AG mal fondée en son exception d’incompétence, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en matière délictuelle, sont compétentes les juridictions de l’Etat sur le territoire duquel le site internet incriminé est accessible, si son activité est dirigée vers les internautes de cet Etat ; que c’est au regard de l’activité du site incriminé lui-même, et non d’un autre site, que la notion d’activité «dirigée» doit être appréciée ; qu’en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux seuls motifs que le site ebay.fr avait incité les internautes français à le consulter, quand il lui appartenait d’apprécier l’activité du site ebay.uk et non celle d’un autre site pour déterminer si celui-ci visait les internautes français et avait mis en oeuvre des mesures pour les attirer, la cour d’appel a violé l’article 5-3 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, ensemble l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le principe de sécurité juridique et celui de prévisibilité des règles de compétence ;

2°/ qu’en toute hypothèse, en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux motifs que les procès-verbaux de constats fournis établissaient que le site ebay.fr avait incité les internautes français à consulter le site voisin ebay.uk, quand aucune des parties n’avait invoqué l’existence d’un procès-verbal duquel il résulterait que le site ebay.fr aurait incité les internautes français à consulter le site anglais et que les sociétés DKGG s’étaient bornées à invoquer, à ce titre, un communiqué de presse d’eBay du 5 mars 2009, visant une campagne commerciale s’étant déroulée en 2009, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige et a ainsi violé l’article 4 du code de procédure civile ;

3°/ qu’en toute hypothèse, en matière délictuelle, la compétence des juridictions de l’Etat sur le territoire duquel le site internet incriminé est accessible doit être appréciée en fonction de l’orientation de ce site à la date à laquelle les faits dénoncés auraient été commis ; qu’en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux motifs que les procès-verbaux de constats fournis établissaient que le site ebay.fr avait incité les internautes à consulter le site voisin ebay.uk, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les pièces fournies par les sociétés DKGG n’étaient pas relatives à une campagne commerciale menée en 2009, soit postérieurement à la période litigieuse, qui allait de 2001 à 2006, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 5-3 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;

Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt relève que le site ebay.fr a incité à plusieurs reprises les internautes français à consulter le site ebay.uk pour élargir leur recherche ou profiter d’opérations commerciales pour réaliser des achats et qu’il existe une complémentarité entre ces deux sites ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a fait ressortir, sans méconnaître les termes du litige, que le site ebay.uk s’adressait directement aux internautes français, a légalement justifié sa décision de retenir la compétence des juridictions françaises pour connaître de l’activité de ce site ;

Attendu, en second lieu, que les sociétés eBay n’ayant pas soutenu que les pièces produites par les sociétés DKGG faisaient référence à des faits se situant en dehors de la période litigieuse, la cour d’appel n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

  • L‘inévitable débat de la qualité d’hébergeur

Sur le quatrième moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir dit qu’elles n’avaient pas la seule qualité d’hébergeur et ne pouvaient en conséquence bénéficier, au titre de leur statut de courtier, des dispositions de l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 portant sur la confiance dans l’économie numérique, d’avoir constaté qu’elles avaient commis des fautes graves en manquant à leur obligation de s’assurer que leur activité ne générait pas des actes illicites portant atteinte aux réseaux de distribution sélective mis en place par les sociétés DKGG, d’avoir dit que ces manquements et les atteintes portées aux réseaux de distribution sélective avaient été préjudiciables aux sociétés DKGG et nécessitaient réparation et de les avoir condamnées in solidum au paiement de diverses sommes, alors, selon le moyen :

1°/ que l’exercice d’une activité d’hébergement, au sens de l’article 14 de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, n’est pas exclue par l’exercice d’une activité de courtage, dès lors que le prestataire exerce une activité de stockage des annonces sans contrôler le contenu éditorial de celles-ci ; qu’en jugeant néanmoins que les sociétés eBay ne pouvaient exercer une activité d’hébergement parce qu’elles fournissaient une prestation de courtage en assurant la promotion de la vente des objets mis en vente sur leurs sites, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

2°/ qu’exerce une activité d’hébergement, au sens de l’article 14 de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, le prestataire qui exerce une activité de stockage, pour mise à disposition du public, de signaux, d’écrits, de messages de toute nature, sans opérer un contrôle de nature à lui confier une connaissance ou une maîtrise des données stockées ; que ce rôle doit être apprécié au regard du contrôle réellement réalisé par le prestataire et non en fonction de celui que ses moyens techniques lui permettraient éventuellement d’exercer ; qu’en jugeant néanmoins que l’appréciation du rôle des sociétés eBay ne devait pas se faire au regard du contrôle que ce prestataire exerçait réellement et en retenant, pour exclure l’exercice d’une activité d’hébergement, qu’elles auraient à leur disposition les moyens de connaître les annonces diffusées par les vendeurs et d’exercer un contrôle éditorial, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

3°/ qu’en toute hypothèse l’existence d’une activité d’hébergement doit être appréciée au regard de chacune des activités déployées par le prestataire ; qu’en jugeant que les sociétés eBay n’exerçaient pas une activité d’hébergement aux motifs que leur activité devait être appréciée globalement, puis en refusant en conséquence de tenir compte de ce qu’il résultait de ses propres constatations que les sociétés eBay auraient des rôles différents selon les options choisies par les vendeurs, de sorte que ce n’était que pour les annonces éditées par ceux d’entre eux qui avaient opté pour des prestations complémentaires telle que l’aide à la rédaction des annonces ou la promotion de leur vente qu’elles pouvaient avoir connaissance des annonces, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

Mais attendu que l’arrêt relève que les sociétés eBay fournissent à l’ensemble des vendeurs des informations pour leur permettre d’optimiser leurs ventes et les assistent dans la définition et la description des objets mis en vente en leur proposant notamment de créer un espace personnalisé de mise en vente ou de bénéficier « d’assistants vendeurs » ; qu’il relève encore que les sociétés eBay envoient des messages spontanés à l’attention des acheteurs pour les inciter à acquérir et invitent l’enchérisseur qui n’a pu remporter une enchère à se reporter sur d’autres objets similaires sélectionnés par elles ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que les sociétés eBay n’avaient pas exercé une simple activité d’hébergement mais qu’elles avaient, indépendamment de toute option choisie par les vendeurs, joué un rôle actif de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des données qu’elles stockaient et à les priver du régime exonératoire de responsabilité prévu par l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 et l’article 14 §1 de la Directive 2000/31 ; que le moyen n’est pas fondé ;

  • Faut-il distinguer selon le  .com et .fr ?

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 46 du code de procédure civile ;

Attendu que pour retenir sa compétence à l’égard de la société de droit américain, eBay Inc, l’arrêt relève que la désinence « com » constitue un « TLD » générique qui a vocation à s’adresser à tout public et que les utilisateurs français peuvent consulter les annonces mises en ligne sur ce site à partir du site ebay.fr et y sont même incités ;

Attendu qu’en se déterminant par des motifs impropres à établir que le site ebay.com s’adressait directement au public de France, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

  • La vente sur Internet et les réseaux de distribution sélective : deux points importants

Sur le cinquième moyen, pris en sa cinquième branche :

Vu l’article 455 du code de procédure ;

Attendu que pour dire que les sociétés DKGG justifient de l’existence de réseaux de distribution sélective licites en France et que les sociétés eBay avaient participé indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseaux de distribution sélective mis en place par ces sociétés et engagé leur responsabilité, l’arrêt retient que ces réseaux n’ont pas d’effet sensible sur la concurrence puisque les parts de marché détenues par chacune de ces sociétés sont inférieures à 15 % et que le total des parts de marché détenues est inférieur à 25 % ; qu’il retient encore que ces sociétés n’ont nullement interdit à leurs distributeurs agréés qui disposent de points de vente physiques de recourir au réseau internet pour vendre et promouvoir les parfums ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles les sociétés Ebay soutenaient que les sociétés DKGG ne pouvaient se prévaloir du bénéfice de l’exemption dès lors que les accords conclus avec les distributeurs de parfums avaient pour objet de fixer les prix de vente, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Et sur ce moyen, pris en ses huitième et neuvième branches :

Vu l’article L. 442-6-I 6° du code de commerce ;

Attendu que pour dire que les sociétés eBay avaient participé à la violation de l’ interdiction de revente hors des réseaux de distribution sélective mis en place par les sociétés DKGG et avaient engagé leur responsabilité, et pour les condamner à réparation et prononcer des mesures d’interdiction, l’arrêt retient qu’il importe peu que cette violation soit commise par un professionnel du commerce ou par un particulier et relève que ces sociétés ont laissé perdurer, sans prendre de mesures effectives, l’organisation de ventes importantes hors réseaux sur lesquelles elles ont perçu des commissions ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les ventes accomplies par de simples particuliers ne sont pas susceptibles de constituer une violation d’une interdiction de revente hors réseau de distribution sélective, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

  • D’où un arrêt de cassation partielle

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a retenu sa compétence à l’égard de la société eBay Inc, exploitant le site ebay.com, dit que les sociétés eBay avaient engagé leur responsabilité sur le fondement de l’article L. 442-6-I 6° du code de commerce et condamné les sociétés eBay in solidum à payer diverses sommes aux sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums aujourd’hui dénommée LVMH Fragrance Brands, Parfums Givenchy aujourd’hui dénommée LVMH Fragrance Brands et à la société Guerlain, l’arrêt rendu le 3 septembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums, Parfums Givenchy ces deux dernières aujourd’hui dénommées LVMH Fragrance Brands et la société Guerlain aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille douze.

 

Forme bidimensionnelle ou forme tridimensionnelle de la marque communautaire : un nouvel espoir pour les marque tridimensionnelles quand elles ne sont que des marques bidimensionnelles ! Les creux ne sont que des pois ( des points ?)

Avec la marque communautaire, la possibilité d’obtenir un enregistrement sur une forme est apparue très difficile, l’arrêt du 12 mai 2012 relance le débat.

5 novembre 1999 : dépôt  par la société Yoshida Metal Industry Co. Ltd, de la demande de marque communautaire :

anaphore trous ou points

Pour :

–        classe 8 : « Coutellerie, ciseaux, couteaux, fourchettes, cuillers, queux à faux, coffins, fusils à aiguiser, pinces pour arêtes de poisson » ;

–        classe 21 : « Ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine (ni en métaux précieux, ni en plaqué), mélangeurs, spatules pour la cuisine, blocs à couteaux, pelles à tartes, pelles à gâteaux ».

14 septembre 2000 : l’examinateur rejette la demande d’enregistrement au motif que le signe en cause était dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 (devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009).

31 octobre 2001 : la Chambre de recours infirme  la décision de l’examinateur

25 septembre 2002 : enregistrement de la marque sous le n° 1372580.

10 juillet 2007 : différentes sociétés, Pi-Design AG, Bodum France et Bodum Logistics A/S, déposent au titre de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 (devenu article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009), une demande en nullité de la marque communautaire au motif que cette marque « consistait en réalité en une forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.  ….la marque contestée représente un ensemble de pois apparaissant sur les manches des couteaux. …….que ces pois constituaient de légers creux ayant pour fonction d’empêcher que le manche du couteau ne glisse. Pour étayer leurs arguments, les intervenantes se sont référées à deux brevets (US 6195899 et EP 1116507B1) détenus par la déposante.. »

15 juillet 2008 : la division d’annulation rejette la demande en nullité.

25 août 2008 : les sociétés demanderesses à l’annulation forment un recours auprès de l’OHMI.

20 mai 2010 : la première chambre de recours de l’OHMI a accueilli le recours en annulant la décision de la division d’annulation. :

–          tout d’abord, la marque contestée était une représentation bidimensionnelle des manches de couteaux pour lesquels l’enregistrement avait été sollicité. Elle a estimé, ….que  la jurisprudence développée au sujet des marques tridimensionnelles constituées par l’apparence du produit lui-même, vaut également pour les marques figuratives constituées par la représentation bidimensionnelle du produit.

–          Ensuite, la chambre de recours a considéré …..que le cadre entourant les points noirs représentait le contour du manche d’un couteau, que les pois noirs représentaient des creux, qui sont nécessaires à l’obtention d’un résultat technique, à savoir celui d’éviter que la main tenant le manche ne glisse accidentellement, et que le brevet américain de la requérante confirmait cette analyse.

Cette décision est soumise au Tribunal qui, le 8 mai 2012, l’annule.

Pour le tribunal, le débat porte sur trois questions :

–          « il s’agit de la question de savoir si l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 207/2009 est susceptible de s’appliquer à des signes bidimensionnels.

–          , il convient de vérifier si la chambre de recours pouvait analyser le signe déposé comme visant, en réalité, à protéger une forme tridimensionnelle, en considérant, par référence aux produits effectivement commercialisés par la requérante, que les pois du motif correspondaient à des creux.

–          en cas de réponse positive aux deux questions précédentes, se pose la question de savoir si la marque contestée est exclusivement constituée par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

Des développements du jugement sont à retenir:

  • L’exclusion de l’article 7 s’applique aux marques bi ou tridimensionnelles

27      Eu égard au libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 207/2009 et à l’objectif d’intérêt général qu’il poursuit, il y a lieu de conclure qu’il s’applique à tout signe, bi- ou tridimensionnel, dès lors que toutes les caractéristiques essentielles du signe répondent à une fonction technique.

28      Il convient dès lors de rejeter les arguments de la requérante en ce qu’ils contestent la possibilité pour la chambre de recours d’appliquer l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 207/2009 à des marques figuratives bidimensionnelles.

  • Le motif principal pour l’annulation de la décision de la chambre de recours qui avait annulé la marque

Il convient de rappeler que la chambre de recours a considéré que l’ensemble des pois noirs de la marque contestée représentait, en réalité, des creux et constituait une structure antidérapante appliquée sur le manche d’un couteau.

30      À cet égard, il y a lieu de constater que le caractère creux des pois noirs ne fait pas partie de la marque contestée telle que déposée et enregistrée. En effet, rien dans la représentation graphique de la marque contestée ne suggère que les pois noirs en cause représentent des creux plutôt que des motifs figuratifs. De même, l’enregistrement de la marque contestée n’est assorti d’aucune description en ce sens. Pour conclure au caractère concave des pois, la chambre de recours ne s’est donc pas référée au signe déposé, mais à des représentations des produits effectivement commercialisés par la requérante.

31      Or, il ressort de la jurisprudence que seule la forme telle que reproduite dans la demande d’enregistrement doit faire l’objet de l’examen de la marque. En effet, la représentation graphique ayant pour fonction de définir la marque, elle doit être complète par elle-même, afin de déterminer, avec clarté et précision, l’objet exact de la protection conférée par la marque enregistrée à son titulaire (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 novembre 2008, Lego Juris/OHMI – Mega Brands (Brique de Lego rouge), T‑270/06, Rec. p. II‑3117, point 73, et la jurisprudence citée).

33      En outre, il ressort de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009 que la nullité est déclarée « lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7 ». Cette formulation implique que la disposition précitée s’applique aux marques qui étaient visées par l’article 7 du règlement n° 207/2009 au moment de leur dépôt. Par conséquent, l’examen d’une demande en nullité fondée sur ce dernier article doit également se situer au moment de ce dépôt, ce qui exclut la prise en compte de l’utilisation effective de la marque après son enregistrement.

34      Il s’ensuit que la constatation de la chambre de recours, au point 29 de la décision attaquée, selon laquelle « aucune disposition des règlements applicables n’interdit à l’OHMI de mettre en œuvre un type de ‘technique inverse’ consistant à rechercher ce que la marque représente véritablement », sur le fondement des éléments autres que la demande d’enregistrement concernée, est contraire à la réglementation applicable.

35      Partant, c’est à tort que la chambre de recours s’est écartée de la représentation graphique de la marque contestée lorsqu’elle s’est référée aux représentations des produits effectivement commercialisés par la requérante pour conclure au caractère concave des pois noirs figurant dans cette dernière marque.

36      Au vu de cette erreur de droit, il y a lieu d’accueillir le moyen unique et d’annuler, par conséquent, la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la troisième question, identifiée au point 21 ci-dessus, relative à la fonction technique prétendument remplie par la marque contestée.

37      À la lumière de ce qui précède, il convient d’annuler la décision attaquée.