Le caractère usuel d’un signe peut conduire au rejet de la demande d’enregistrement à titre de marque. Postérieurement à l’enregistrement, le signe devenu usuel amène le juge à prononcer la déchéance du titre. Enfin, lors du procès en contrefaçon, les circonstances des emplois litigieux peuvent infléchir la décision du juge quand le caractère usuel de l’emploi en question se trouve invoqué.
Ces différentes situations avec des intérêts divers se retrouvent à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon du 2 février 2010.
La marque en question : « La Pierrade » pour désigner « appareils d’éclairage, de chauffage, de production de vapeur, de cuisson, de séchage, de ventilation ; ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine ; hôtellerie et restauration ».
- Le caractère usuel de la marque lors de son dépôt, s’il a été invoqué, n’a pas été soutenu
Ces développements sont regroupés à l’arrêt sous l’intitulé « validité originelle de la marque »
Le dépôt étant intervenu en 1986, l’examen doit être mené au regard de la loi du 31 décembre 1964 qui disposait que ne peuvent être considérées comme marques celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire et générique du produit et du service et celles qui sont constituées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou du service, ou la composition du produit
Pour soutenir ‘qu’au jour du dépôt précité, il était usuel d’utiliser le terme pierrade pour désigner un appareil et/ou un mode de cuisson sur pierre chauffante’, la société Consumer Finance ‘fait sienne l’argumentation développée par la société La Redoute’.
Mais cette dernière ne soutient rien de tel : elle fait valoir que ‘pour apprécier la validité de la marque, il convient de se placer à la date de la présente demande en nullité’, se réclamant ainsi des principes commandant d’ailleurs, non pas la validité du dépôt, mais l’appréciation du risque de confusion au regard d’une notoriété ultérieurement acquise par la marque.
Dès lors, à supposer même que les règles de procédure autorisent la société Consumer Finance à se référer à des conclusions dont elle ne reprend pas les termes, il n’existe dans les écritures de la société La Redoute aucune argumentation susceptible de soutenir sa propre thèse.
Faute d’aucun moyen en ce sens, la demande de nullité de la marque pour défaut originaire de caractère distinctif ne peut donc prospérer.
2. Postérieurement au dépôt, le caractère usuel de la marque enregistrée doit – il être examiné au regard des seuls consommateurs concernés ou aussi en tenant compte des professionnels qui s’adressent à ces consommateurs ?
- La Cour de Lyon dit que la marque est usuelle pour les consommateurs concernés
Du point de vue du grand public, la démonstration est amplement faite que ce mot est quotidiennement, massivement et couramment utilisé pour désigner un appareil de cuisson caractérisé par le recours à une pierre chauffée.
De nombreuses recettes de cuisine, des annonces de revente sur internet et même une entrée de dictionnaire en font usage, et il n’est aucune trace que le public ait conscience d’employer ainsi un mot protégé en tant que marque.
- Mais la Cour de Lyon ajoute un second périmètre d’appréciation du caractère usuel de la marque : les professionnels qui s’adressent à ces consommateurs
Mais cela ne suffit pas à en conclure que la marque est devenue usuelle ; ces circonstances manifestent seulement que les produits et services considérés ont eu un grand succès, qu’ils présentaient une originalité et qu’il n’existait pas de mot pour les nommer auparavant, de sorte que le public les identifie par le vocable sous lequel ils ont été initialement offerts à la vente.
Il ne s’en déduit pas que les autres opérateurs économiques du secteur sont dans la même situation, ni qu’ils s’en trouveraient autorisés à profiter des investissements à l’origine de ce succès pour concurrencer le premier intervenant en recourant à ce signe pour désigner des produits et services identiques ou similaires.
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Or, il n’est pas même prétendu que, du point de vue des professionnels du secteur de la fabrication et de la commercialisation des appareils de cuisson et autres produits et services désignés dans l’enregistrement, le signe serait devenu usuel
- Pour la Cour de Lyon la compréhension du signe doit être examinée auprès de ces deux publics
Dès lors, la première condition de la dégénérescence, si même elle est remplie à l’égard du grand public, ne l’est nullement au regard de l’ensemble des professionnels du secteur et, à leur égard, la marque demeure propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.
Cette condition n’est pas remplie.
Certes la Cour de Lyon à la suite de ce premier examen, va montrer que la dégénérescence du signe pour les seuls consommateurs n’est pas du fait de son titulaire :
Même à admettre que le mot pierrade est devenue la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service, ce ne serait pas du fait de son titulaire et, faute que cette seconde exigence soit remplie, il n’y aurait pas plus lieu de constater sa dégénérescence.
Ainsi pour la Cour de Lyon, postérieurement à l’enregistrement, l’examen du caractère usuel de la marque doit être conduit au regard :
– des consommateurs concernés,
– et des professionnels qui s’adressent à ces consommateurs.
3° Puis vient le débat sur la contrefaçon : « Réalité de la contrefaçon »
- Voyons tout d’abord ce que dit la Cour :
Dans cette seconde phrase, la marque est reproduite en tous ses éléments ; le signe est utilisé pour désigner des produits identiques à ceux figurant dans l’enregistrement sous le terme ‘appareils de cuisson’ ; le risque de confusion va de soi et la contrefaçon est caractérisée.
Dans la première, la marque est imitée, puisque l’article ‘la’ ne figure pas dans l’annonce incriminée.
Pour autant, ce simple article produit un effet distinctif négligeable, de sorte que de façon visuelle, conceptuelle et phonétique, l’imitation du seul mot propre à retenir concrètement l’attention et à demeurer présent à l’esprit lorsqu’il n’a pas les deux signes en même temps sous les yeux expose le consommateur raisonnablement informé, qui est d’ici d’attention très moyenne puisqu’il s’agit en l’occurrence de produits de grande consommation, offerts en cadeau qui plus est, à un risque de confusion en raison de cette ressemblance très marquée.
Or, c’est bien au regard de ce consommateur que doit s’évaluer le risque de confusion puisque lui seul, à l’exclusion des professionnels du secteur, y est exposé et que les annonces litigieuses lui étaient destinées.
L’identité des produits désignés achève de créer l’évidence de ce risque ; la contrefaçon est caractérisée.
- Le malaise est palpable :
– Lors de l’examen du caractère usuel après enregistrement, la Cour dit que pour le consommateur concerné le signe est devenu usuel . la Cour a même dit que il n’est aucune trace que le public ait conscience d’employer ainsi un mot protégé en tant que marque.
– Pour l’examen de la contrefaçon, la Cour retient le risque de confusion.
4°) Comment sortir de ce paradoxe
Un signe n’est plus apte à exercer son caractère distinctif mais les conditions exigées pour voir prononcer sa dégénérescence ne sont pas remplies.
Faut-il retenir un acte de contrefaçon quand le signe est utilisé en rapport avec les produits visés à enregistrement ?
Non a déjà dit la Cour de Cassation dans son arrêt du 2 novembre 2011, une telle solution n’aurait-elle pas pu s’appliquer ici ?