Actions en nullité et en déchéance de marque : l’efficacité de l’INPI

Chacun se souvient que des différentes modifications législatives apportées aux marques, celle qui fut la plus commentée par les professionnels créait devant l’INPI des procédures en nullité et en déchéance de marque assorties d’une exclusivité en faveur de l’office.

Au 1er avril 2020 sont entrées en vigueur ces deux nouvelles procédures administratives ( Elles sont amplement présentées ici ).

30 décisions ont été rendues et publiées depuis.  Premières impressions.

Comme pour répondre aux interrogations des professionnels, la première décision intervient sur une action en déchéance de marque dont le demandeur fait l’objet d’une action en contrefaçon engagée antérieurement devant un tribunal par le titulaire de cette même marque. Le 10 juillet 2020, l’INPI déclare irrecevable cette demande. Primauté de l’instance judiciaire donc, puisque devant le tribunal antérieurement saisi, la demande en déchéance aurait dû être présentée.

Autre motif d’irrecevabilité d’une demande en nullité reconnu par deux décisions de l’Office,  la marque contestée n’est pas encore enregistrée.

Mais ce ne sont là finalement que des péripéties par rapport à l’enseignement essentiel de ces 30 premières décisions de l’INPI.

Leur rapidité. Pour la plus grande partie d’entre elles, ces décisions sont rendues dans un délai compris entre 5 et 7 mois, ce qui est un succès au regard des durées accordées au titulaire de la marque pour se manifester.  Avec la pandémie tenir de tels délais constituer une prouesse.

Exceptée dans une seule affaire, le titulaire de la marque n’a pas apporté d’argumentaire pour combattre la demande en nullité ou en déchéance. Et toutes les demandes en nullité ou en déchéance examinées, sont acceptées dans leur totalité ou partiellement.

Autrement dit,  ces procédures administratives montrent leur utilité pour faire disparaître les marques qui ne sont pas exploitées ou dont les titulaires ne voient plus d’intérêt à leur maintien.

Antérieurement à la création de ces procédures administratives, obtenir les mêmes résultats pour les demandeurs aurait nécessité de leur part l’engagement de procédures judiciaires et les aurait exposés à des délais beaucoup plus longs et à des frais bien supérieurs.

Seule ombre à ce tableau, le faible nombre de ces actions. En 2020, par mois, elles se comptaient très rarement au-dessus de 10.

 

 

 

A qui est destiné le lait de vache ?

 Des questions inattendues animent les débats sur les marques. Nouvelle illustration avec la demande de marque IT’S LIKE MILK BUT MADE FOR HUMANS dont la décision de refus d’enregistrement par l’EUIPO vient d’être annulée par un arrêt du 20 janvier 2020 du Tribunal de l’Union..

Pour l’Office européen des marques,  cette marque est comprise « comme un slogan promotionnel laudatif, plutôt que comme une indication de l’origine commerciale desdits produits ».

Cette compréhension était selon l’EUIPO celle du public pertinent à savoir celui composé des consommateurs « souffrant d’intolérance au lactose, d’allergie au lait ou étaient végétaliens »

Pt 36. S’agissant du caractère distinctif de la marque demandée, la chambre de recours a considéré, au point 29 de la décision attaquée, que la première partie de la marque (« it’s like milk ») serait perçue comme indiquant que les produits commercialisés sont constitués ou contiennent des succédanés du lait qui s’apparentent au « vrai » lait et que la seconde partie de ladite marque (« but made for humans ») comme indiquant qu’ils sont plus adaptés à la consommation humaine que le « vrai » lait ou les produits en contenant. Elle a également relevé, au point 30 de la décision attaquée, l’absence d’écart perceptible entre la marque dans son ensemble et la conjonction de ses deux parties. Aux points 31 à 33 de la décision attaquée, elle a estimé que, perçue à la lumière des produits en cause, la marque demandée serait comprise comme un slogan promotionnel laudatif, plutôt que comme une indication de l’origine commerciale desdits produits, et a mis en exergue la circonstance que certains consommateurs souffraient d’intolérance au lactose, d’allergie au lait ou étaient végétaliens.

Pour le déposant, la perception de la marque doit être menée par le grand public et non sur ces consommateurs spécifiques.

Pt.37. « le consommateur moyen du grand public est réputé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé et ne dispose, dès lors, pas d’opinion extrême ou minoritaire. Il percevrait le lait comme un aliment de base, sain et nourrissant. Il serait, dès lors, erroné de la part de la chambre de recours de se fonder sur une sous-section mineure de ce public. »

Et ce changement de référentiel pour le déposant serait essentiel car « la première perception du public pertinent ne sera pas que le lait de vache permet d’alimenter les veaux, mais qu’il est produit pour la consommation humaine. Il en découlerait que la phrase « it’s like milk but made for humans » remet en question la perception par le public pertinent du lait comme une substance à destination de l’être humain en évoquant l’idée, controversée, que le lait n’est pas adapté à la consommation humaine. Ainsi cette phrase, prise dans son entièreté, serait originale, imaginative, paradoxale, surprenante, mentalement stimulante et inattendue et, dès lors, susceptible de remplir la fonction essentielle d’une marque. »

Le Tribunal retient cette apparente contradiction;

44      S’agissant du sens de la marque demandée, force est de constater que, en raison de la présence de la conjonction de coordination « but » en son milieu, le consommateur percevra une opposition entre la première partie de la marque (« it’s like milk ») et sa seconde partie (« made for humans »). De ce fait, la marque demandée véhicule non seulement l’idée que les produits, de nature alimentaire, en cause s’apparentent au lait et sont destinés à la consommation humaine, mais également l’idée que le lait, lui, ne le serait pas.

45      Par une telle signification, la marque demandée remet en cause l’idée communément admise que le lait est un élément essentiel pour l’alimentation humaine, ainsi qu’en attestent les éléments de preuve avancés par la requérante devant la chambre de recours puis le Tribunal, dont il ressort que le lancement de la marque demandée a donné lieu à des controverses aux Pays-Bas, en Suède et au Royaume-Uni.

46      De ce fait, la marque demandée véhicule un message de nature à déclencher un processus cognitif auprès du public concerné la rendant mémorisable et, partant, à individualiser les produits de la requérante par rapport aux produits ayant une autre origine commerciale. La marque demandée dispose, dès lors, du minimum de caractère distinctif requis par l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

AOP et AOC : une protection de leur identité visuelle

COUR DE JUSTICE DU 17 DECEMBRE 2020 AOP AOC MORBIER A propos du Morbier, la Cour de justice le 17 décembre 2020, l’arrêt,  reconnait aux  AOP et AOC une protection sur leur caractéristique visuelle.

Les articles 13, paragraphe 1, respectifs du règlement (CE) no 510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, et du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’interdisent pas uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée.

Les articles 13, paragraphe 1, sous d), respectifs des règlements nos 510/2006 et 1151/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils interdisent la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée. Il y a lieu d’apprécier si ladite reproduction peut induire le consommateur européen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en erreur, en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce.

Pour une présentation de ce litige et des questions préjudicielles posées par la Cour de cassation c’est là 

Quelle redevance de marque, de modèle ou de brevet à inclure dans l’assiette des droits de douane ?

L’exclusivité accordée pour la distribution de produits peut s’exprimer par des dispositifs contractuels aux intitulés des plus variés. Parmi ceux-ci, viennent naturellement les contrats de licence de marque, de modèle ou de brevet.

Selon les mécanismes contractuels, le prix de la licence peut être inclus dans le prix du produit payé par l’importateur, il peut aussi en être dissocié et suivre un autre canevas de processus.

Mais comment intégrer ce paiement « effectué en contrepartie de l’octroi d’un droit de distribution exclusive pour la détermination de la valeur en douane de marchandises importées d’un pays tiers en vue de leur mise en libre pratique sur le territoire de l’Union européenne » ? Telle est la question à laquelle répond la Cour de Justice dans son arrêt du 19 novembre 2020.

L’arrêt cite les dispositions applicables :qui fonde la distinction entre le prix payé par la marchandise et les paiements effectués pour leur importation éléments.

« 1.      La valeur en douane des marchandises importées est leur valeur transactionnelle, c’est‑à‑dire le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du territoire douanier de la Communauté, le cas échéant, après ajustement effectué conformément aux articles 32 et 33 […]

[…]

  1. a)      Le prix effectivement payé ou à payer est le paiement total effectué ou à effectuer par l’acheteur au vendeur, ou au bénéfice de celui‑ci, pour les marchandises importées et comprend tous les paiements effectués ou à effectuer, comme condition de la vente des marchandises importées, par l’acheteur au vendeur, ou par l’acheteur à une tierce personne pour satisfaire à une obligation du vendeur. […]

[…] »

5        Figurant au même chapitre, l’article 32 dudit code disposait :

« 1.      Pour déterminer la valeur en douane par application de l’article 29, on ajoute au prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées :

[…]

  1. c)      les redevances et les droits de licence relatifs aux marchandises à évaluer, que l’acheteur est tenu d’acquitter, soit directement, soit indirectement, en tant que condition de la vente des marchandises à évaluer, dans la mesure où ces redevances et droits de licence n’ont pas été inclus dans le prix effectivement payé ou à payer ;
  2. d)      la valeur de toute partie du produit de toute revente, cession ou utilisation ultérieure des marchandises importées qui revient directement ou indirectement au vendeur ;

[…]

  1. Tout élément qui est ajouté par application du présent article au prix effectivement payé ou à payer est fondé exclusivement sur des données objectives et quantifiables.

[…]

  1. Nonobstant le paragraphe 1 point c) :

[…]

  1. b)       les paiements effectués par l’acheteur en contrepartie du droit de distribuer ou de revendre les marchandises importées ne sont pas ajoutés au prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées si ces paiements ne sont pas une condition de la vente, pour l’exportation, des marchandises importées à destination de la Communauté. »

Figurant au chapitre 2, intitulé « Dispositions relatives aux redevances et droits de licence », du titre V, intitulé « Valeur en douane », du règlement d’application, l’article 157 de ce règlement disposait :

« 1.      Aux fins de l’article 32 paragraphe 1 point c) du code [des douanes], on entend par redevances et droits de licence notamment le paiement pour l’usage de droits se rapportant :

–        à la fabrication de la marchandise importée (notamment les brevets, les dessins, les modèles et les savoir-faire en matière de fabrication)

ou

–        à la vente pour l’exportation de la marchandise importée (notamment les marques de commerce ou de fabrique, les modèles déposés)

ou

–        à l’utilisation ou à la revente de la marchandise importée (notamment les droits d’auteur, les procédés de fabrication inséparablement incorporés dans la marchandise importée).

  1. Indépendamment des cas prévus à l’article 32 paragraphe 5 du code [des douanes], lorsque la valeur en douane de la marchandise importée est déterminée par application des dispositions de l’article 29 du code [des douanes], la redevance ou le droit de licence n’est à ajouter au prix effectivement payé ou à payer que si ce paiement :

–        est en relation avec la marchandise à évaluer

et

–        constitue une condition de vente de cette marchandise. »

7        Figurant à ce chapitre 2, l’article 158, paragraphe 3, dudit règlement énonçait :

« Si les redevances ou les droits de licence se rapportent en partie aux marchandises importées et en partie à d’autres ingrédients ou éléments constitutifs ajoutés aux marchandises après leur importation ou encore à des prestations ou services postérieurs à l’importation, une répartition appropriée n’est à effectuer que sur la base de données objectives et quantifiables, conformément à la note interprétative figurant à l’annexe 23 et afférente à l’article 32 paragraphe 2 du code [des douanes]. »

Le lecteur averti savait d’ailleurs que « Le code des douanes a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 450/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, établissant le code des douanes communautaire (code des douanes modernisé) (JO 2008, L 145, p. 1), puis par le règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, et rectificatif JO 2013, L 287, p. 90). Toutefois, en vertu de l’article 286, paragraphe 2, de ce dernier règlement, lu en combinaison avec l’article 288, paragraphe 2, de celui-ci, le code des douanes est resté applicable jusqu’au 30 avril 2016. »

Le droit dit par la Cour de justice :

L’article 29, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, doit être interprété en ce sens qu’un paiement, effectué pendant une période limitée, par l’acheteur de marchandises importées au vendeur de celles-ci, en contrepartie de l’octroi, par ce dernier, d’un droit de distribution exclusive de ces marchandises sur un territoire donné, et calculé sur le chiffre d’affaires réalisé sur ce territoire, doit être intégré à la valeur en douane desdites marchandises.

 

 

Ne dites plus j’ai un frigidaire !

Votre interlocuteur ne comprendra pas ce que vous lui dites. Tel est l’enseignement des recours devant l’EUIPO et de l’arrêt du Tribunal de l’union du 28 octobre 2020.  L’arrêt est là

1999 : enregistrement de FRIGIDAIRE par la société ELECTROLUX comme marque communautaire

Pour désigner

–       classe 7  : « Machines à laver à usage domestique et commercial, lave-vaisselle ; broyeurs d’ordures ménagères et compacteurs de déchets ménagers ; compresseurs réfrigérants ; ouvre-boîtes électriques, batteurs, mixeurs, robots de cuisine, moulins à café, hache-viande, couteaux électriques, affûteurs électriques, coupe-viande, broyeurs de glace, centrifugeuses, machines pour la fabrication des pâtes compris dans la classe 7 » ;

–       classe 11  : « Réfrigérateurs, congélateurs et appareils à usage domestique ou commercial pour faire de la glace ; appareils de cuisson électriques et au gaz à usage domestique, à savoir fourneaux, fours, cuisinières et hottes ; fours à micro-ondes, hottes pour fourneaux, climatiseurs, humidificateurs et déshumidificateurs, chauffe-eau, refroidisseurs d’eau, petits appareils électriques, y compris cafetières, machines à expresso, distributeurs d’eau chaude instantanée, grille-pain, fours à grille-pain, poêles à frire, purificateurs d’air, surgélateurs pour crème glacée, sèche-cheveux, machines à sécher le linge compris dans la classe 11 ».

13 octobre 2015 : demande en déchéance présentée devant l’EUIPO

Pour la division d’annulation  les preuves d’usage de la marque FRIGIDAIRE sont suffisantes pour :

–         classe 7 « Batteurs, mixeurs, robots de cuisine compris dans la classe 7 » ;

–        classe 11 : « Réfrigérateurs et congélateurs à usage domestique ; appareils de cuisson électriques et au gaz à usage domestique, à savoir fours ; fours à micro-ondes ; petits appareils électriques, à savoir grille-pain, bouilloires, fers à repasser compris dans la classe 11 ».

17 juin 2018 : sur recours de ELECTROLUX, la  Chambre de recours de l’EUIPO annule partiellement la précédente décision et ajoute à la liste des produits de la classe 7 pour lesquels des preuves d’usage sont suffisantes :

  • « moulins à café, hache-viande, couteaux électriques, coupe-viande, broyeurs de glace, centrifugeuses, machines pour la fabrication des pâtes »

Nouveau recours d’ELECTROLUX mais cette fois devant le Tribunal de première instance de l’Union.

Pour ELECTROLUX les preuves d’usage sérieux sont également apportées pour :

  • les « machines à laver à usage domestique et commercial » et les « lave-vaisselle », « fourneaux » et les « machines à sécher le linge »

Le Tribunal rejette le recours.

A noter parmi les arguments avancés par le titulaire de la marque pour établir l’usage sérieux de sa marque FRIGIDAIRE pour ces produits :

Les ventes de «  de 1516 machines à laver, de 765 sèche-linge, de 216 lave-vaisselle, de 610 fourneaux ainsi que de réfrigérateurs et de congélateurs aux ministères de la Défense et des Affaires étrangères des États-Unis, à destination d’une base militaire située en Allemagne entre les mois de novembre 2011 et de septembre 2015 et d’une base militaire située en Belgique entre les mois de juin et de décembre 2014 » .

L’EUIPO n’avait pas considéré ces quantités comme suffisantes :

27      La chambre de recours a considéré que ces chiffres de ventes n’étaient pas négligeables, mais qu’ils étaient susceptibles de refléter les besoins des soldats vivant dans lesdites bases militaires, et non de caractériser l’intention de la requérante de créer un débouché commercial dans l’Union pour les produits en cause.