Quel tribunal saisir en nullité et en contrefaçon de marques ?

Le contentieux des droits de propriété intellectuelle se caractérise aussi par des règles spécifiques pour déterminer le juge compétent au regard des différentes actions judiciaires.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 septembre 2016 se limite-t-il à une question de compétence pour examiner le contentieux de la validité, de la nullité et de la contrefaçon de la marque, – l’objet du présent post -, ou bien, en germe, sous-entendrait-il un changement considérable dans le droit des marques ?

Revenons à son acquis : la répartition des compétences en matière de marques entre les différents tribunaux de grande instance en France, le Tribunal de grande instance de Paris ayant  une compétence exclusive pour les marques communautaires.

  • Le litige au principal

Différentes marques portent sur le signe D….. déposées par C……………… . Il y a des marques françaises, communautaires et internationales désignant l’Union européenne.

Les marques françaises sont attaquées en nullité et en déchéance par D…. qui invoque des marques françaises antérieures.

D….. engage son action devant le Tribunal de grande instance de Lille, action qui vise également des demandes au titre de la contrefaçon.

C…… oppose la compétence du Tribunal de grande instance de Paris , seul compétent en matière de matière de marques communautaires en invoquant que les signes D….. de D….. sont également protégés par des marques communautaires.

L’arrêt de la Cour de cassation ne dit pas quelle solution a retenu le Tribunal de grande instance de Lille. L’arrêt de la Cour de Douai qui fait l’objet du pourvoi, a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par C……..

  • L’argument de C…. requérante au pourvoi

Attendu que C……. fait grief à l’arrêt de rejeter son exception d’incompétence alors, selon le moyen, que le tribunal de grande instance de Paris est seul compétent pour connaître des actions et demandes mettant en jeu la contrefaçon ou la validité de marques communautaires ; que dans le cas où des marques identiques ont fait l’objet de dépôts tant français que communautaire ou international désignant l’Union européenne, des demandes qui tendent à voir prononcer la nullité des seules marques déposées en France et à en voir interdire l’usage n’en sont pas moins nécessairement de nature à affecter indirectement mais de façon substantielle les droits attachés aux marques communautaires identiques et mettent la juridiction saisie dans l’obligation d’apprécier les droits du défendeur sur ses marques communautaires, leur validité et leur portée ; qu’en retenant en l’espèce que le tribunal de grande instance de Lille était compétent pour connaître de l’action de D……. dès lors que celle-ci ne formule aucune demande au titre de marques communautaires, que ses demandes ne portent que sur les droits détenus par C…….. sur des marques françaises, que la décision à intervenir, qui n’aura autorité de la chose jugée qu’à l’égard des seules marques françaises et non des marques internationales ou communautaires, ne sera pas de nature à affecter les droits de C…… sur ses marques communautaires ou internationales désignant l’Union européenne et que suivre le raisonnement de C…….. conduirait à centraliser l’ensemble du contentieux de la propriété intellectuelle au profit du tribunal de grande instance de Paris, le dépôt d’une marque française concomitamment à une marque communautaire étant fréquent, la cour d’appel qui a ainsi refusé de prendre en compte le fait, invoqué par C……….. et non contesté, que ses marques françaises dont il était demandé non seulement la nullité mais également l’interdiction d’usage « sous quelque forme et de quelque manière que ce soit », étaient identiques à des marques communautaires et internationales désignant l’Union européenne dont elle est également titulaire, ce qui mettait le juge saisi dans l’obligation d’apprécier les droits attachés à ces marques communautaires, a violé ensemble les articles L. 717-4 et R. 717-11 du code de la propriété intellectuelle ainsi que l’article R. 211-7 du code de l’organisation judiciaire ;

  • La Cour de cassation rejette le pourvoi

Mais attendu qu’après avoir rappelé que les dispositions prévoyant la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris pour connaître des actions en matière de marques communautaires doivent s’appréhender strictement, l’arrêt constate que l’objet du litige ne porte que sur les droits détenus par les parties sur des marques françaises ; qu’il retient en outre que la décision à intervenir n’aura autorité de la chose jugée qu’à l’égard des marques françaises, en sorte qu’elle ne sera pas de nature à affecter les droits des titulaires sur les marques communautaires et internationales désignant l’Union européenne ; que de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que l’examen des demandes relatives aux marques françaises dont elle était saisie ne mettait pas la juridiction dans l’obligation d’apprécier les droits de C……. attachés à ses marques communautaires et internationales désignant l’Union européenne, la cour d’appel, qui n’a pas refusé de prendre en compte le fait que les marques françaises étaient identiques aux marques communautaires ou internationales désignant l’Union européenne, a exactement déduit que le tribunal de grande instance de Lille était compétent pour connaître de l’action ; que le moyen n’est pas fondé ;

Vente sur Internet d’objets argués de contrefaçon de droits d’auteur depuis des sites américains : la Cour de cassation suspend l’examen des pourvois dans l’attente de la décision de la Cour de Justice

Les pourvois sur la compétence des juridictions françaises en matière d’atteinte à des droits d’auteur par des sites internet américains sont en attente de la réponse de la Cour de Justice saisie par l’arrêt du 5 avril 2012 de la Cour de cassation

 

Une nouvelle illustration en est donnée par l’arrêt du 20 mars 2013

Attendu selon l’arrêt attaqué (Paris, 5 octobre 2011), que Alberto X…, dit Y…, auteur de la photographie représentant Z… intitulée « Guerillero Heroïco » et connue comme la photographie du « Che au béret et à l’étoile », est décédé le 25 mai 2001, que Mme A…, sa fille et légataire universelle, a cédé à la société Legende Global, à titre exclusif et pour une durée de dix ans, l’ensemble des droits d’exploitation sur cette photographie, qu’ayant constaté que la société américaine Onion Inc. proposait à la vente, sur son site internet, un tee-shirt reproduisant la photographie en cause et que la livraison des produits commandés sur ce site était effectuée par la société américaine The Onion, Mme A… et la société Legende Global ont assigné ces dernières devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de leurs droits moraux et patrimoniaux d’auteur ; que les sociétés Onion Inc. et The Onion ont soulevé l’incompétence des juridictions françaises au profit des juridictions américaines ;

Attendu que Mme A… et la société Legende Global font grief à l’arrêt de déclarer le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître du litige ;

Attendu que, par arrêt du 5 avril 2012 (pourvoi n° 10-15. 890, Bull. 2012, I, n° 88), la première chambre civile de la Cour de cassation a posé à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :

1°/ L’article 5, point 3, du Règlement (CE) n° 44/ 2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit-il être interprété en ce sens qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur commise au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet,

– la personne qui s’estime lésée a la faculté d’introduire une action en responsabilité devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, à l’effet d’obtenir réparation du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie,

ou

-il faut, en outre, que ces contenus soient ou aient été destinés au public situé sur le territoire de cet Etat membre, ou bien qu’un autre lien de rattachement soit caractérisé ?

2°) La question posée au 1°) doit-elle recevoir la même réponse lorsque l’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur résulte non pas de la mise en ligne d’un contenu dématérialisé, mais, comme en l’espèce, de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant ce contenu ?

Et attendu que les réponses qui seront données à ces questions sont susceptibles d’avoir une incidence sur la solution du présent litige ;

PAR CES MOTIFS :

Sursoit à statuer dans l’attente de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne répondant aux questions préjudicielles qui lui ont été posées par arrêt rendu le 5 avril 2012 par la première chambre civile de la Cour de cassation ;

Dit que l’affaire sera de nouveau examinée à l’audience du 10 décembre 2013 ;

Conséquence d’une requête présentée devant le Président du Tribunal de commerce pour établir par huissier des agissements de concurrence déloyale liés de façon indissociable à des actes de contrefaçon de marque

Le contentieux de la contrefaçon de marque appartient à certains tribunaux de grande instance. Devant quelle juridiction l’avocat doit-il se présenter pour obtenir l’autorisation de procéder à un constat pour établir la preuve d’actes de concurrence déloyale ? L’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2012 nous précise la solution quand ces actes sont liés de façon indissociable à des actes de contrefaçon de marque.

25 mai 2010 : Sun City présente une requête devant le président du tribunal de commerce de Paris, « aux fins de voir désigner un huissier de justice afin qu’il se rende dans les locaux occupés par les sociétés SNC Scemama et Scemama international pour rechercher, constater et copier tous documents, y compris sur support informatique, utiles à la preuve et susceptibles d’établir un comportement déloyal de ces deux sociétés ainsi que de leurs partenaires, les sociétés Lamoli, TV Mania et WWE »

24 juin 2011 : la Cour d’appel de Paris infirme « l’ordonnance déférée, sauf en ce que les premiers juges ont dit que l’exception d’incompétence était recevable et statuant à nouveau, d’avoir déclaré fondée l’exception d’incompétence au profit du président du Tribunal de grande instance de Paris, d’avoir ordonné la rétractation de l’ordonnance sur requête du 25 mai 2010, d’avoir constaté la nullité des opérations de constat, du procès-verbal de l’huissier instrumentaire et de la mesure de séquestre, d’avoir ordonné la restitution à la SNC Scemama et à la SARL Scemama International des documents appréhendés par la SCP Chevrier De Zitter et Asperti, d’avoir débouté les parties de toute demande autre ou incompatible avec la motivation ci-dessus exposée, d’avoir condamné la société Sun City à payer à la société WWE la somme de 5.000 euros et à la SNC Scemama et la SARL Scemama, chacune, la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et enfin d’avoir condamné la société Sun City aux dépens de première instance et d’appel »;

Sun City se pourvoit en cassation, par son arrêt du 20 novembre 2012, la Cour de cassation rejette le pourvoi;

Mais attendu que l’arrêt relève qu’il résulte des termes de la requête présentée par la société Sun City et des pièces qui y étaient jointes que le différend s’inscrit dans un contexte mettant en cause tant des actes de concurrence déloyale que de contrefaçon de marque ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a exactement déduit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, que la mesure de constat sollicitée étant liée de façon indissociable à des actes de contrefaçon de m arque imputés à la société Sun City, le juge compétent pour connaître de l’affaire au fond était, en application de l’article L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle, le tribunal de grande instance de Paris et qu’en conséquence seul le président de ce tribunal était compétent pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ; que le moyen n’est pas fondé ;

Ci-dessous, la troisième branche du moyen au pourvoi qui militait pour une compétence totale dès qu’une des mesures d’instruction sollicitée était de la compétence de la juridiction commerciale.

« Alors, de troisième part, que la compétence matérielle du juge des référés saisi d’une requête sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile est établie lorsque l’une au moins des mesures d’instruction sollicitées entre dans la compétence matérielle de la juridiction qui serait amenée à connaître éventuellement du fond ; qu’en déclarant le Président du Tribunal de commerce de Paris incompétent au profit du Président du Tribunal de grande instance de Paris pour connaître de l’ensemble des mesures d’instruction sollicitées par la société Sun City sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, au constat inopérant que le Tribunal de grande instance de Paris avait été subséquemment saisi au fond par la société Sun City, la Cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 145 et 875 du Code de procédure civile, L.721-3 du Code de commerce et L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle ; »

Contrefaçon de marque, de dessin et modèle, et de brevet : quelle cour d’appel l’avocat doit-il choisir ?

Un de nos précédents articles avait attiré l’intérêt d’un avis de la Cour de cassation pour déterminer devant quelle cour d’appel présenter l’appel d’un jugement postérieur au 1er novembre 2009, Cet article se rapportait à une affaire de brevet.

Une nouvelle illustration en est donnée avec l’arrêt de la Cour de Montpellier du 27 mars 2012 intervenu cette fois, dans une affaire de marque, à la suite d’un  jugement du 30 avril 2010 du Tribunal de Grande Instance de Rodez.

Le tribunal de grande instance de Rodez, saisi d’une assignation délivrée avant le 1er novembre 2009 demeurait compétent pour statuer, les nouvelles règles d’organisation judiciaire n’étant pas applicables à l’instance en cours devant lui ; tel n’est pas le cas, en revanche, en ce qui concerne l’instance d’appel, introduite par Mmes C, M A, la société Coutellerie Glandières, MM. M et M. M, par déclarations des 22 et 24 juin 2010, postérieurement à l’entrée en vigueur des décrets du 9 octobre 2009.

Si le tableau VI annexé à l’article D. 211-6-1 du code de l’organisation judiciaire désigne le tribunal de grande instance de Marseille pour connaître, en tant que juridiction interrégionale, des actions en matière de marques du ressort des cours d’appel d’Aix-en-Provence, Bastia, Montpellier et Nîmes, la juridiction d’appel de ce tribunal de grande instance spécialisé est nécessairement la cour d’appel d’Aix-en-Provence, conformément au tableau IV annexé à l’article D. 311-1 du code de l’organisation judiciaire ; dès lors que l’action diligentée par Mmes C et les autres demandeurs relève désormais de la compétence du tribunal de grande instance de Marseille, spécialisé dans le contentieux des marques, l’instance d’appel contre le jugement statuant sur une telle action, ne peut être porté que devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, également spécialisée dans ce type de contentieux.

Surtout cet arrêt souligne l’urgence que la Cour de cassation clarifie cette situation

C’est donc à juste titre que le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les appels formées devant la cour d’appel de Montpellier, après avoir retenu que la demande, dont il était saisi, s’analysait, non en une exception d’incompétence, mais en une fin de non-recevoir ; l’ordonnance déférée doit en conséquence être confirmée en toutes ses dispositions.

L’arrêt ayant pris le soin au préalable d’indiquer :

Il résulte de l’article 122 du code de procédure civile que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir ; l’article 125 du même code énonce d’ailleurs que les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public, notamment lorsqu’elle résultent de l’inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l’absence d’ouverture d’une voie de recours.

En l’occurrence, le moyen qui tend à soutenir que la cour d’appel de Montpellier n’a pas le pouvoir de statuer sur l’appel d’un jugement rendu en matière de marques, sauf à méconnaître les dispositions d’ordre public de l’article D 211-6-1 du code de l’organisation judiciaire, constitue une fin de non-recevoir et non une exception