Publicité en ligne, système Adwords : régime de la responsabilité limitée ou simple retour aux principes de la concurrence déloyale

L’arrêt rendu le 29 janvier 2013 par la Cour de Cassation revient sur le système appelé Adwords et les liens commerciaux. Finalement, la Cour de cassation serait-elle favorable à un retour aux différents principes qui caractérisent des actes de concurrence déloyale ?

 

  • Tout d’abord, l’inévitable débat sur le régime de responsabilité des hébergeurs

Vu l’article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour retenir la responsabilité de la société Google Inc., l’arrêt retient qu’en proposant le mot-clé  » Cobrason  » dans le programme Adwords et en faisant apparaître sur la page de recherche s’ouvrant à la suite d’un clic sur ledit mot clé sélectionné, sous l’intitulé  » liens commerciaux « , le site d’un concurrent de celui correspondant au mot clé sélectionné, la société Google Inc. a contribué techniquement aux actes de concurrence déloyale commis par la société Solutions ; qu’il ajoute que l’association qui est ainsi faite entre les deux sites est de nature à laisser croire aux internautes qu’il existe un lien commercial particulier entre eux et que l’expression  » pourquoi payer plus cher  » est aussi de nature à induire en erreur les internautes et à entraîner un détournement de clientèle, ce dont la société Google Inc. doit répondre également ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Google Inc. qui revendiquait le régime de responsabilité limitée institué au profit des hébergeurs de contenus par l’article 6, I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, la cour d’appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

  • Les mots clefs et les annonces publicitaires ne seraient pas en eux-mêmes illicites

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu que pour dire que la société Solutions s’est livrée à des actes de concurrence déloyale, l’arrêt, après avoir relevé qu’à chaque fois qu’un internaute effectue une recherche  » Cobrason  » sur le moteur de recherche de Google, il accède automatiquement et sans aucune manoeuvre ou manipulation technique de sa part à une page de résultat diffusant une annonce publicitaire renvoyant vers le site de la société Solutions, retient qu’en utilisant la dénomination sociale  » Cobrason  » sous forme de mot clé, la société Solutions, qui exerce la même activité que cette société, a nécessairement généré une confusion entre leurs sites internet respectifs dans la clientèle potentielle considérée et provoqué, de ce seul fait, un détournement déloyal de clientèle ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans relever de circonstances caractérisant un risque de confusion entre les sites internet des deux entreprises et alors que le démarchage de la clientèle d’autrui est licite s’il n’est pas accompagné d’un acte déloyal, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

  • les mots clefs et les annonces publicitaires ne seraient pas en eux-mêmes constitutifs de publicités trompeuses

Vu l’article L. 121-1 du code de la consommation, en sa version issue de la loi du loi n° 93-949 du 26 juillet 1993, applicable aux faits de la cause ;

Attendu que pour retenir la responsabilité de la société Solutions, l’arrêt retient encore que l’affichage, à titre de lien principal, du site  » homecinesolutions. fr  » à la suite d’un clic sur le terme  » Cobrason « , est constitutif en lui-même d’une publicité trompeuse dès lors que l’internaute ne peut qu’être porté à croire à l’existence d’un lien commercial particulier entre les sites des sociétés Cobrason et Solutions, au travers, entre autres, d’une possible identité des produits offerts à la vente, et que le lien litigieux présentant le site de la société Solutions et contenant la formule  » pourquoi payer plus cher  » est aussi, eu égard à la terminologie employée, susceptible d’induire en erreur l’internaute et d’entraîner un détournement de la clientèle considérée ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une publicité fausse ou de nature à induire en erreur portant sur un ou plusieurs des éléments énumérés par l’article L. 121-1 du code de la consommation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des deux pourvois :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il rejette la demande d’annulation du jugement et met la société Google France hors de cause, l’arrêt rendu le 11 mai 2011, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Cobrason aux dépens ;

 

Conséquence d’une requête présentée devant le Président du Tribunal de commerce pour établir par huissier des agissements de concurrence déloyale liés de façon indissociable à des actes de contrefaçon de marque

Le contentieux de la contrefaçon de marque appartient à certains tribunaux de grande instance. Devant quelle juridiction l’avocat doit-il se présenter pour obtenir l’autorisation de procéder à un constat pour établir la preuve d’actes de concurrence déloyale ? L’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2012 nous précise la solution quand ces actes sont liés de façon indissociable à des actes de contrefaçon de marque.

25 mai 2010 : Sun City présente une requête devant le président du tribunal de commerce de Paris, « aux fins de voir désigner un huissier de justice afin qu’il se rende dans les locaux occupés par les sociétés SNC Scemama et Scemama international pour rechercher, constater et copier tous documents, y compris sur support informatique, utiles à la preuve et susceptibles d’établir un comportement déloyal de ces deux sociétés ainsi que de leurs partenaires, les sociétés Lamoli, TV Mania et WWE »

24 juin 2011 : la Cour d’appel de Paris infirme « l’ordonnance déférée, sauf en ce que les premiers juges ont dit que l’exception d’incompétence était recevable et statuant à nouveau, d’avoir déclaré fondée l’exception d’incompétence au profit du président du Tribunal de grande instance de Paris, d’avoir ordonné la rétractation de l’ordonnance sur requête du 25 mai 2010, d’avoir constaté la nullité des opérations de constat, du procès-verbal de l’huissier instrumentaire et de la mesure de séquestre, d’avoir ordonné la restitution à la SNC Scemama et à la SARL Scemama International des documents appréhendés par la SCP Chevrier De Zitter et Asperti, d’avoir débouté les parties de toute demande autre ou incompatible avec la motivation ci-dessus exposée, d’avoir condamné la société Sun City à payer à la société WWE la somme de 5.000 euros et à la SNC Scemama et la SARL Scemama, chacune, la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et enfin d’avoir condamné la société Sun City aux dépens de première instance et d’appel »;

Sun City se pourvoit en cassation, par son arrêt du 20 novembre 2012, la Cour de cassation rejette le pourvoi;

Mais attendu que l’arrêt relève qu’il résulte des termes de la requête présentée par la société Sun City et des pièces qui y étaient jointes que le différend s’inscrit dans un contexte mettant en cause tant des actes de concurrence déloyale que de contrefaçon de marque ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a exactement déduit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, que la mesure de constat sollicitée étant liée de façon indissociable à des actes de contrefaçon de m arque imputés à la société Sun City, le juge compétent pour connaître de l’affaire au fond était, en application de l’article L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle, le tribunal de grande instance de Paris et qu’en conséquence seul le président de ce tribunal était compétent pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ; que le moyen n’est pas fondé ;

Ci-dessous, la troisième branche du moyen au pourvoi qui militait pour une compétence totale dès qu’une des mesures d’instruction sollicitée était de la compétence de la juridiction commerciale.

« Alors, de troisième part, que la compétence matérielle du juge des référés saisi d’une requête sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile est établie lorsque l’une au moins des mesures d’instruction sollicitées entre dans la compétence matérielle de la juridiction qui serait amenée à connaître éventuellement du fond ; qu’en déclarant le Président du Tribunal de commerce de Paris incompétent au profit du Président du Tribunal de grande instance de Paris pour connaître de l’ensemble des mesures d’instruction sollicitées par la société Sun City sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, au constat inopérant que le Tribunal de grande instance de Paris avait été subséquemment saisi au fond par la société Sun City, la Cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 145 et 875 du Code de procédure civile, L.721-3 du Code de commerce et L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle ; »

Protection des couleurs par l’action en concurrence déloyale, l’examen minutieux de l’arrêt du 4 janvier 2012 de la Cour de Paris à propos de l’emploi d’un code de couleurs marron, jaune, blanc, rose, rouge, vert

Ce blog cite régulièrement des décisions de justice mettant en cause des marques portant sur des couleurs.

L’arrêt du 4 janvier 2012 rendu par la Cour de Paris est intéressant non qu’il se prononce sur des couleurs protégées par des marques mais en leur absence, sur une action en concurrence déloyale.

Pour la bonne compréhension de l’arrêt, indiquons qu’une demande en contrefaçon de brevet avait été présentée mais qu’elle a été rejetée successivement par le Tribunal puis par la Cour parce que le brevet a été annulé pour défaut d’activité inventive.

L’appelant dont l’action en contrefaçon a été rejetée, alléguait des actes de concurrence déloyale par reprise de couleurs .

Ci-après est reproduite la motivation de la Cour pour rejeter également cette action en concurrence déloyale. Vous noterez la finesse d’analyse des magistrats et la volonté d’expliquer leur position au regard de la technique en cause.

  • Tout d’abord, le rappel du principe

Considérant en droit, que le principe de la liberté du commerce implique qu’un produit qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions 6tenant, notamment, à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, préjudiciable à l’exercice paisible et loyal du commerce ;
Considérant que l’appréciation de la faute au regard du risque de confusion, doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, outre le caractère plus ou moins servile de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté, l’originalité et la notoriété du produit copié ;

  • Venons maintenant à la situation technique dans laquelle les couleurs sont utilisées

Considérant que la société C….., qui reconnaît ne pas exploiter le brevet litigieux mais un autre brevet protégeant une autre forme de contrôle du sertissage au moyen d’une bague de visualisation non sécable, fait ici valoir qu’elle a été la première à utiliser un code couleur pour l’identification de ses produits, à savoir la couleur vert anis pour les bagues de contrôle de sertissage et, selon le diamètre du raccord à sertir, les couleurs marron, jaune, blanc, rose, rouge, vert pour les inserts correspondants, introduits dans les mâchoires de la presse de sertissage et fait grief à la société U……. d’avoir délibérément recherché, en reprenant un mode d’identification du couple bague de visualisation / insert par un code couleur, à semer la confusion dans l’esprit de la clientèle ;
Or considérant qu’il importe de relever, dès lors que l’ensemble des circonstances de l’espèce doit être pris en compte dans l’appréciation du risque de confusion, qu’il n’est pas démenti que la bague de visualisation non sécable telle qu’exploitée par la société C……. reste en place sur le raccord et n’est pas détruite, à la différence de la bague de visualisation U……, mais déformée par le sertissage, de telle sorte que le professionnel des raccords de tuyaux, utilisateur des bagues de visualisation, sera à même de distinguer celles provenant de la société C….. de celles provenant de la société U………., d’abord et en premier lieu, à raison de leur comportement différent sous l’effet du processus de sertissage ;

Considérant ensuite, que l’identification des produits au moyen d’un code couleur est banale dans les usages du commerce et la société C……. , qui souligne elle-même dans ses écritures qu’un tel moyen constitue un indicateur simple et attractif de la fonction ou de la destination du produit, ne saurait en revendiquer le monopole ;
Que force est de constater, en toute hypothèse, que la société C……. utilise une couleur unique, vert anis, pour les bagues de visualisation, quel que soit leur diamètre et des couleurs différentes, en fonction du diamètre, pour les inserts : marron pour un diamètre de 14, jaune pour le 16, blanc pour le 18, rose pour le 20, rouge pour le 25/26, vert pour le 32 ; que la société U……utilise quant à elle, au vu de la plaquette de présentation appréhendée au cours des opérations de saisie-contrefaçon, une couleur identique pour le couple bague de visualisation /insert, couleur qui diffère selon le diamètre de la bague de visualisation et de l’insert correspondant : beige pour un diamètre de 16, rose pour le 18, orange pour le 20, marron pour le 25/26, vert pour le 32 ; que les deux sociétés utilisent en conséquence, pour chaque diamètre considéré, un code couleur différent, étant à cet égard relevé en ce qui concerne le diamètre 32, que le vert anis de la société C…….. se distingue aisément du vert foncé de la société U……. ;

  • La conclusions sur l’absence de risque de confusion

Considérant qu’il suit de ces observations que l’utilisation incriminée d’un code couleur pour les ensembles bagues de visualisation/ inserts U…….ne crée pas un risque de confusion dans l’esprit de l’utilisateur des produits concernés qui ne serait pas fondé à attribuer aux bagues de visualisation commercialisées par les sociétés concurrentes une origine commune ;