Action en déchéance de marque : attention à la qualification de substitution !

Votre marque est enregistrée pour « Télécommunications » (classe 38), l’exploitez-vous directement ou bien en donnez-vous des licences ?

  • Dans ce second cas, quelles preuves d’exploitation pouvez-vous apporter pour éviter sa déchéance pour défaut d’usage ?
  • S’ajoutent à ces problématiques que d’autres produits et services sont visés à votre enregistrement, les uns ne pourraient-ils pas sauver les autres et réciproquement de l’action en déchéance ?

Ces interrogations surgissent à la lecture de l’arrêt du Tribunal de l’Union du 26 mars 2025. L’arrêt

Après la décision de la Chambre de recours de l’EUIPO, la marque attaquée pour déchéance BAIDU, reste enregistrée.

  • classe 9 : « Logiciels à utiliser pour la recherche, la compilation, l’indexation et l’organisation d’informations au sein de stations de travail individuelles, de PC ou de réseaux informatiques ; logiciels pour la création de répertoires d’informations, de sites web ou de répertoires d’autres sources d’informations » ;
  •  classe 38 : « Télécommunications, à savoir la diffusion de contenus audiovisuels par l’internet ».

Devant le Tribunal de l’Union, la requérante à la déchéance demande l’infirmation de la décision de la Chambre de recours qui a permis à Baidu Europe de sauver son enregistrement pour la classe 9, et a maintenu la décision de la division d’annulation pour la classe 38.

A priori, les services de « Télécommunications » qui avaient échappé à la déchéance devant l’EUIPO, n’auraient pas dû connaître de difficulté et pourtant…

« Télécommunications », une définition au sens des marques avec deux conditions.

    • « ces services doivent permettre à une personne au moins de communiquer avec une autre par un moyen sensoriel. La diffusion de programmes de radio ou de télévision est appréhendée comme un service plaçant une personne en communication orale ou visuelle avec une autre ».
    • L’entreprise « doit établir qu’elle diffuse, par ses propres moyens, des chaînes de radio ou de télévision »

L’existence d’outils logiciels remplit-elle ces deux conditions ? Ici « l’application logicielle, la technologie logicielle et le centre de données de Baidu Europe constituaient, pour les utilisateurs de cette application et pour les entreprises clientes de Baidu Europe des moyens d’accéder à des contenus audiovisuels ».

Ce qu’en retient le Tribunal :

«  61      Toutefois, l’EUIPO n’apporte pas d’explication circonstanciée au soutien de cette affirmation. Il ne se prévaut pas non plus d’éléments de preuve permettant d’établir, d’une part, l’existence et la nature exacte de services de diffusion distincts de la fourniture de l’application logicielle (laquelle constitue un produit) et, d’autre part, le contrôle et l’exploitation par Baidu Europe elle-même des moyens utilisés pour opérer ces services ».

Les éléments de preuve apportés par Baidu Europe :

  • Ces preuves «  évoquent, en des termes très généraux, le fonctionnement de l’application et de la technologie logicielles et mentionnent l’existence d’un stockage de données sur une base de données située sur les serveurs de Baidu Europe ».
  • La chaîne de télévision « Fuel TV » a bénéficié de services de développement de logiciels et a acquitté des frais pour l’utilisation de son centre de données.

Ce qui ne convainc pas le Tribunal.

  • La conception de logiciels relevait de la classe 42.
  • Le recueil et le stockage de données relevaient alors, respectivement, des classes 35 et 39.

Et surtout,  « la concession de licences de propriété intellectuelle relevait de la classe 42 ».

Autrement dit « les services fournis et facturés par Baidu Europe à des entreprises clientes n’étaient pas des services de télécommunications relevant de la classe 38, mais des services de concession de licences de contenus audiovisuels relevant alors de la classe 42 ».

« 72      Dans ces conditions, la qualification de substitution proposée par la requérante, à savoir celle de services de concession de licences, présente un caractère plausible et est donc susceptible de remettre en cause le constat selon lequel la marque contestée a été utilisée pour des services de diffusion de contenus audiovisuels. Il en résulte qu’il n’est pas démontré, à suffisance de droit, que les redevances facturées par Baidu Europe à des entreprises clientes rémunéraient des services de diffusion de contenus audiovisuels et non d’autres services tels que des services de concession de licences ».

Le Tribunal annule la décision de la division d’annulation de l’EUIPO, « en tant que, par son point 3, elle a rejeté la demande de déchéance de la marque contestée en ce qui concerne les services en cause, relevant de la classe 38, et, d’autre part, de rejeter le recours de Baidu Europe, en tant qu’il portait sur les produits en cause, relevant de la classe 9. »

Marque : l’annonce de nouvelles procédures devant l’INPI avec le recours administratif préalable obligatoire

L’INPI envisage de nouvelles procédures et interroge sur leur mise en oeuvre par un questionnaire accessible en ligne dont les réponses sont attendues pour le 31 août. Le questionnaire de l’INPI

Des recours en RAPO

Trait commun à ces nouvelles procédures, elles prendront la forme d’un RAPO .

Cette nouvelle procédure prendrait la forme d’un RAPO (recours administratif préalable obligatoire)  et permettrait de renforcer la transparence, la prévisibilité et la cohésion des décisions de l’Institut.

Des besoins de RAPO maintenant ……et pas avant ?

L’INPI expose le besoin de ces nouvelles procédures :

L’INPI émet chaque année plusieurs centaines de milliers de décisions procédurales en rapport avec l’enregistrement, la délivrance ou le maintien des titres de propriété industrielle,  parmi lesquelles un nombre significatif (plusieurs dizaines de milliers) de décisions susceptibles de faire grief, car prononçant un refus (rejet, irrecevabilité…).

Dès lors qu’un déposant souhaite contester une telle décision, il doit saisir les tribunaux. La validité des décisions du directeur de l’INPI est en effet soumise au contrôle des cours d’appel de l’ordre judiciaire, initiant ainsi un processus long et coûteux.

Si le  recours administratif préalable obligatoire (RAPO) existe en droit administratif depuis longtemps, le questionnaire de L’INPI n’explique pas pourquoi :

  •  celui-ci n’a pas été mis en oeuvre précédemment,
  •  et quels événements justifient son introduction pour les droits de propriété industrielle,
  •  et que soient concernées toutes les décisions de l’INPI sans distinguer  celles qui s’appliquent au seul déposant ou au titulaire de la marque de celles où plusieurs parties s’opposent (opposition de marque, demande en nullité ou en déchéance de marque ).

Toutes les demandes des usagers de l’INPI soumises au RAPO ?

A se reporter au questionnaire, de très nombreuses demandes présentées par les usagers à l’INPI et relatives aux marques si ce n’est toutes, seraient concernées :

  • les décisions statuant sur l’examen des marques,
  • les décisions statuant sur une opposition de marque,
  • les décisions statuant sur une demande d’annulation (nullité ou déchéance) de marque.

L’application par l’INPI du  recours administratif préalable obligatoire (RAPO) modifierait l’effet dévolutif du recours devant la Cour d’appel en matière de nullité et de déchéance de marque, qui a été introduit récemment à la suite de l’exclusivité accordée à l’INPI pour les demandes en nullité et en déchéance de marques qui a débuté en avril 2020.

Cette importance réforme impactera directement les usagers, et leurs avocats.

Ne pas confondre RAPO et recours devant une chambre de recours

Des différents aspects que cette réforme présente, une distinction essentielle doit être soulignée, le RAPO ne conduit pas à la mise en place de chambres de recours analogues à celles de l’EUIPO, voir notre  article .

 

Ne dites plus j’ai un frigidaire !

Votre interlocuteur ne comprendra pas ce que vous lui dites. Tel est l’enseignement des recours devant l’EUIPO et de l’arrêt du Tribunal de l’union du 28 octobre 2020.  L’arrêt est là

1999 : enregistrement de FRIGIDAIRE par la société ELECTROLUX comme marque communautaire

Pour désigner

–       classe 7  : « Machines à laver à usage domestique et commercial, lave-vaisselle ; broyeurs d’ordures ménagères et compacteurs de déchets ménagers ; compresseurs réfrigérants ; ouvre-boîtes électriques, batteurs, mixeurs, robots de cuisine, moulins à café, hache-viande, couteaux électriques, affûteurs électriques, coupe-viande, broyeurs de glace, centrifugeuses, machines pour la fabrication des pâtes compris dans la classe 7 » ;

–       classe 11  : « Réfrigérateurs, congélateurs et appareils à usage domestique ou commercial pour faire de la glace ; appareils de cuisson électriques et au gaz à usage domestique, à savoir fourneaux, fours, cuisinières et hottes ; fours à micro-ondes, hottes pour fourneaux, climatiseurs, humidificateurs et déshumidificateurs, chauffe-eau, refroidisseurs d’eau, petits appareils électriques, y compris cafetières, machines à expresso, distributeurs d’eau chaude instantanée, grille-pain, fours à grille-pain, poêles à frire, purificateurs d’air, surgélateurs pour crème glacée, sèche-cheveux, machines à sécher le linge compris dans la classe 11 ».

13 octobre 2015 : demande en déchéance présentée devant l’EUIPO

Pour la division d’annulation  les preuves d’usage de la marque FRIGIDAIRE sont suffisantes pour :

–         classe 7 « Batteurs, mixeurs, robots de cuisine compris dans la classe 7 » ;

–        classe 11 : « Réfrigérateurs et congélateurs à usage domestique ; appareils de cuisson électriques et au gaz à usage domestique, à savoir fours ; fours à micro-ondes ; petits appareils électriques, à savoir grille-pain, bouilloires, fers à repasser compris dans la classe 11 ».

17 juin 2018 : sur recours de ELECTROLUX, la  Chambre de recours de l’EUIPO annule partiellement la précédente décision et ajoute à la liste des produits de la classe 7 pour lesquels des preuves d’usage sont suffisantes :

  • « moulins à café, hache-viande, couteaux électriques, coupe-viande, broyeurs de glace, centrifugeuses, machines pour la fabrication des pâtes »

Nouveau recours d’ELECTROLUX mais cette fois devant le Tribunal de première instance de l’Union.

Pour ELECTROLUX les preuves d’usage sérieux sont également apportées pour :

  • les « machines à laver à usage domestique et commercial » et les « lave-vaisselle », « fourneaux » et les « machines à sécher le linge »

Le Tribunal rejette le recours.

A noter parmi les arguments avancés par le titulaire de la marque pour établir l’usage sérieux de sa marque FRIGIDAIRE pour ces produits :

Les ventes de «  de 1516 machines à laver, de 765 sèche-linge, de 216 lave-vaisselle, de 610 fourneaux ainsi que de réfrigérateurs et de congélateurs aux ministères de la Défense et des Affaires étrangères des États-Unis, à destination d’une base militaire située en Allemagne entre les mois de novembre 2011 et de septembre 2015 et d’une base militaire située en Belgique entre les mois de juin et de décembre 2014 » .

L’EUIPO n’avait pas considéré ces quantités comme suffisantes :

27      La chambre de recours a considéré que ces chiffres de ventes n’étaient pas négligeables, mais qu’ils étaient susceptibles de refléter les besoins des soldats vivant dans lesdites bases militaires, et non de caractériser l’intention de la requérante de créer un débouché commercial dans l’Union pour les produits en cause.

Pandémie : procédures en déchéance et en nullité devant l’Inpi quand les tribunaux suspendent leurs activités en propriété industrielle

Aujourd’hui 2 avril, l’annonce faite hier sur le site de l’INPI est toujours en ligne :

Le portail e-procédures de l’INPI a été mis à jour pour permettre de réaliser deux nouvelles démarches, entrées en vigueur avec la loi PACTE à compter du 1er avril 2020 : les demandes en nullité ou en déchéance de marque ainsi que les oppositions à l’encontre d’un brevet, contestations qui étaient jusqu’à présent uniquement possibles en justice.

La nouvelle procédure administrative en nullité ou en déchéance de marque permet de faciliter la suppression de marques en cas de défaut de validité ou d’existence d’une marque ou d’un autre droit antérieur et de rendre disponibles des marques non exploitées pour que d’autres acteurs économiques puissent les utiliser.

…une procédure écrite exclusivement électronique, accessible via le portail e-procédures de l’INPI

Des nombreux débats qui ont accueilli ces nouvelles procédures administratives, une question restait en suspens : leur succès, c’est-à-dire combien de procédures seraient engagées devant l’Office.

La pandémie  a changé la donne puisque les tribunaux de grande instance tribunaux judiciaires ont  drastiquement ralenti leurs activités en se concentrant sur les affaires pénales et en privilégiant les urgences civiles essentiellement pour les affaires familiales. Cette situation impacte également la délivrance des assignations. Sans action en contrefaçon pas de demande reconventionnelle en nullité ou en déchéance de marque. L’INPI se trouve seul en charge de ces contentieux.

L’avenir nous dira si le covid-19 a contribué au succès de ces procédures administratives en nullité et en déchéance de marque.

 

 

 

Même déchue une marque aurait pu encore servir, mais c’était avant

Ce 26 mars, l’arrêt de la Cour de la justice intervient sur une question préjudicielle de la Cour de cassation française à propos de l’indemnisation pour contrefaçon dans la période qui précède le 5ème anniversaire de son enregistrement, date à laquelle le législateur français a fait le choix de faire produire les effets de la déchéance d’une marque pour non-usage.

Ce sont les dispositions de la directive 2008/95 qui sont applicables.

  • Le contexte de la demande reconventionnelle en déchéance de marque lors de l’action en contrefaçon

43 ….  À cet égard, d’une part, conformément au considérant 6 de la directive 2008/95, qui énonce, notamment, que « [les] États membres devraient conserver la faculté de déterminer les effets de la déchéance ou de la nullité des marques », cette directive a laissé toute liberté au législateur national pour déterminer la date à laquelle la déchéance d’une marque produit ses effets. D’autre part, il résulte de l’article 11, paragraphe 3, de ladite directive que les États membres demeurent libres de décider s’ils souhaitent prévoir que, en cas de demande reconventionnelle en déchéance, une marque ne peut être valablement invoquée dans une procédure en contrefaçon s’il est établi, à la suite d’une exception, que le titulaire de la marque pourrait être déchu de ses droits en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de la même directive.

  • Où le législateur français n’avait pas envisagé l’action en contrefaçon sur la période antérieure au 5ème anniversaire de l’enregistrement pour une marque qui n’a pas fait l’objet d’un usage  sérieux

44      En l’occurrence et ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions, le législateur français a fait le choix de faire produire les effets de la déchéance d’une marque pour non-usage à compter de l’expiration d’un délai de cinq ans suivant son enregistrement. De plus, la décision de renvoi ne contient aucun élément permettant de considérer que, à l’époque des faits en cause au principal, le législateur français avait fait usage de la faculté prévue à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2008/95.

45      Il en ressort que la législation française maintient la possibilité pour le titulaire de la marque concernée de se prévaloir, après l’expiration du délai de grâce, des atteintes portées, au cours de ce délai, au droit exclusif conféré par cette marque, même si ce titulaire a été déchu de ses droits sur celle-ci.

  • Qu’en est il des dommages et intérêts ?

46      Quant à la fixation des dommages et intérêts, il y a lieu de se référer à la directive 2004/48, en particulier à l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de celle-ci, selon lequel ces dommages et intérêts doivent être « adaptés au préjudice que [le titulaire de la marque] a réellement subi ».

47      Si l’absence d’usage d’une marque ne fait pas obstacle, par elle-même, à une indemnisation liée à la commission de faits de contrefaçon, cette circonstance n’en demeure pas moins un élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer.

  • Le droit dit par la Cour de justice

L’article 5, paragraphe 1, sous b), l’article 10, paragraphe 1, premier alinéa, et l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, lus conjointement avec le considérant 6 de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens qu’ils laissent aux États membres la faculté de permettre que le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque.