Règle de la forclusion de l’action en contrefaçon contre une dénomination sociale

L’action en contrefaçon de marque connaît des règles spécifiques selon la nature des signes en cause.

Illustration avec l’arrêt du 7 janvier 2014 pour la forclusion par tolérance. L’arrêt est ici.

Vu l’article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour déclarer irrecevable dans sa totalité l’action en contrefaçon formée par la société Cheval Blanc, l’arrêt retient que cette société a toléré, pendant plus de cinq ans avant la date de l’assignation, l’usage du signe « Cheval Blanc » ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la forclusion par tolérance ne peut être opposée à une action en contrefaçon de marque dirigée contre une dénomination sociale, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande en nullité de la marque « domaine du Cheval Blanc » n° 1 291 368 et de la marque semi-figurative n° 033205896, en ce qu’il a déclaré la société Cheval Blanc irrecevable en son action en contrefaçon de sa marque « Cheval Blanc » n° 1 301 809 à raison de l’utilisation du vocable « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale de l’Earl X… de Cheval Blanc, l’arrêt rendu le 10 septembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux autrement composée ;

Conflit entre marque, nom commercial, dénomination sociale, enseigne et nom de domaine, l’impact de l’ancienneté de l’usage retenu par l’arrêt de la Cour de Paris du 4 janvier 2011

Le 4 janvier 2011, l’arrêt rendu par la Cour de Paris illustre l’enchevêtrement des différents droits de propriété industrielle, marque , nom commercial, dénomination sociale, enseigne et nom de domaine.

 

Brièvement, les faits  et le jugement

 

Une société intervenant dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration est mise en liquidation judiciaire. La vingtaine d’établissements qu’elle détenait sont soit cédés à des tiers soit conservés, le portefeuille de marques connaît les mêmes aléas.

Un de ces tiers, la société ingess Ingénerie et Gestion,  acquiert les marques communautaires et les marques françaises :

– marque communautaire semi-figurative no 629055 « Arcotel accueil routier caristes-Chaîne d’Hôtels et Restaurants des Centres Routiers », déposée à l’OHMI le 12 septembre 1997 pour désigner notamment des services en classes 35 et 42 à savoir publicité et affaires, hôtellerie, restauration, bar, réservation de chambres d’hôtel,

– marque communautaire semi-figurative no 629063 « Arcotel Trucks Center » déposée à l’OHMI le 12 septembre 1997 pour désigner notamment des services en classes 35 et 42 à savoir publicité, restauration (alimentation), hébergement temporaire,

– marque française semi-figurative no 94514147 « Arcotel Trucks Center » déposée le 1er avril 1994 en classes 35 et 43 pour désigner notamment les services de publicité, restauration (alimentation), hébergement temporaire, régulièrement renouvelée le 2 mars 2004,

– marque française semi-figurative « Arcotel Restaurant » no 08 3 568 099 déposée à l’INPI le 7 avril 2008 en classes 35, 39 et 43 pour désigner notamment les services de transport, organisation de voyages, services de restauration (alimentation) et hébergement temporaire service de bar et service hôtelier,…,

Ce tiers engage une action en contrefaçon contre la société Hôtelière Arcotel Mulhouse A 36 lui reprochant l’emploi de « Arcotel » :

– dans sa dénomination sociale, dans son nom commercial et à titre d’enseigne pour désigner des services proposés dans l’hôtel-restaurant qu’elle exploite à Sausheim

– et à titre de nom de domaine d’un site internet accessible à l’adresse arcotel. fr

Le Tribunal de Grande Instance de Paris rejette toutes les demandes.

 

La décision d’appel


  • Le rejet des demandes en contrefaçon de marque

 

La Cour en analysant l’historique de l’emploi des termes litigieux, nom commercial, dénomination sociale et enseigne, les faits remonter à une date antérieure à celle du premier dépôt de marque. « la société sogecer et cie devenue seras puis société Hôtelière Arcotel Mulhouse A36 a fait un usage public et continu du terme arcotel dans son nom commercial depuis 1986 jusqu’en 1993 ainsi que cela ressort des lettres commerciales ou administratives de toute nature échangées avec divers correspondants (pièces no 5 à 16 versées au débat par les intimés) » ;

Et les juges appliquent l’article L713-6 du Code de la propriété intellectuelle :

« L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme :

a) Dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement,

Or, son dernier alinéa prévoit  aussi : « Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite. »

Sur cette demande de limitation ou d’interdiction, la Cour de Paris oppose également l’ancienneté de l’emploi et ses conséquences :

« …l’atteinte alléguée par la société ingess ne justifie pas d’interdire à la société Hôtelière Arcotel Mulhouse A36 de faire usage dans sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne du terme arcotel qu’elle emploie publiquement depuis vingt-cinq ans et par lequel elle est connue de ses fournisseurs, de ses clients, des services administratifs et de tous ses partenaires ;

Que la demande d’interdiction présentée par la société Ingess sera en conséquence rejetée ;

Il n’y a donc rien d’automatique dans l’application de l’article L713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle.

 

  • Mais le transfert du nom de domaine est ordonné pour arcotel.fr mais pas pour arcotel-mulhouse.fr

 

La société Hôtelière Arcotel Mulhouse A36 a déposé le 12 octobre 2006 le nom de domaine « arcotel. fr »

L’emploi du nom de domaine est ainsi rapporté dans cet arrêt : « pour toute demande d’information, à « informations @ arcotel. fr », pour toute question commerciale, à « commercial @ arcotel. fr », pour les demandes de réservation, à « réservation @ arcotel. fr » et pour toute demande d’information sur l’accueil des groupes à « groupes @ arcotel. fr ».

L’article invoqué : R. 20-44-45 du Code des Postes et des Télécommunications Electroniques : « Un nom identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou communautaires ou par le présent code ne peut être choisi pour nom de domaine, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi » ;

Reproduisons la décision et la motivation de la Cour :

« …eu égard à l’ancienneté de l’usage du nom commercial et de l’enseigne de la société Hôtelière Arcotel Mulhouse A36, cette dernière conserve la faculté de faire usage du signe arcotel dans la mesure où il est inséparable de la fonction de désignation de l’établissement hôtelier qu’elle exploite à Mulhouse-Sausheim, il n’en reste pas moins que le choix de ce signe dans le nom de domaine « arcotel. fr », dès lors qu’il n’est plus associé à cet établissement, induit un risque de confusion avec le même signe sur lequel la société ingess possède, à titre de marque, un droit de propriété intellectuelle ;

Considérant qu’il en résulte que la société ingess est fondée à demander le transfert à son profit du nom de domaine « arcotel. fr » initialement déposé par la société seras ; que sa demande à cette fin sera accueillie ; que sa demande de transfert à son profit du nom de domaine « arcotel-mulhouse. fr » sera en revanche rejetée ;

Résultat :

  1. le nom de domaine « arcotel. fr » est transféré
  2. le nom de domaine« arcotel-mulhouse. fr » n’est pas transféré

La différence entre les deux noms de domaine, le second conserve l’association avec le nom commercial ou l’enseigne de l’établissement dont l’origine remonte à une date antérieure à celles de marques invoquées.