Saisie-contrefaçon en matière de marque, quel juge est compétent ?

La détermination de la juridiction compétente en matière de contrefaçon de marque est quelques fois délicate. Un nouvel exemple est donné par la Cour de Paris du 6 décembre 2013. La saisie-contrefaçon n’avait pas à être autorisée par le juge de Marseille.

 

Sur la validité du constat d’huissier dressé les 12 et 13 octobre 2009 à la requête de la société L…. dans les locaux de la société M……désignés par la requérante à la mesure comme lieu où sont entreposées les marchandises appréhendées par le service de la Douane :

Considérant que le tribunal a déclaré nulle l’ordonnance rendue le 31 août 2009 par le Président du tribunal de grande instance de Marseille autorisant cette mesure et, par voie de conséquence, le procès-verbal de constat subséquent aux motifs que l’ordonnance a été délivrée au visa de l’article L 716-7 du code de la propriété intellectuelle relatif aux saisies-contrefaçon et par un magistrat qui n’avait pas compétence pour statuer sur la requête, ceci après avoir cumulativement considéré que la société demanderesse n’avait pas intérêt à agir en saisie-contrefaçon faute d’être titulaire de droits de marques, que le tribunal de grande instance de Paris était, au jour de la requête, déjà saisi du fond du litige et avait seul compétence pour statuer et que les opérations de constat (comme s’analyse ce procès-verbal), dans le cadre d’une retenue en douane suivie d’une saisie-contrefaçon sont soumises aux dispositions des articles L 716-8 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;

…..

Qu’il convient de considérer que par motifs pertinents que la cour fait siens, le tribunal a statué comme il l’a fait et que le jugement doit être confirmé sur ce point ;

Contrefaçon de marque : intervention des douanes et information du procureur de la République

Les douanes disposent de pouvoirs spécifiques pour intervenir en cas de contrefaçon de marque.Parmi les règles qui organisent l’intervention des douanes, l’information du Procureur de la République.

L’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 30 octobre 2013 intervient à propos de la preuve de cette information du Procureur de la République, l’arrêt est ici .

  • Le 30 octobre 2013, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar qui avait annulé la procédure :

aux motifs que l’attestation a posteriori de M. Y… qui atteste avoir adressé au procureur de la République une télécopie l’informant de la visite envisagée par l’administration des douanes dans le cadre de l’article 63 ter du code des douanes ne saurait suppléer l’absence de production du rapport d’émission ou de réception de ladite télécopie de telle sorte qu’en l’absence de toute trace objectivement vérifiable justifiant l’accomplissement de l’information du procureur de la République, conformément au texte susmentionné, il convient de retenir que cette diligence n’a pas été accomplie et d’annuler par voie de conséquence le procès-verbal n° 1 des douanes, s’agissant d’une formalité substantielle dont l’omission porte grief à la prévenue privée de ce fait du contrôle du parquet également garant des libertés individuelles ; qu’il y a lieu, par voie de conséquence, d’annuler tous les actes subséquents au procès-verbal n° 1 de l’administration des douanes, c’est à dire, l’ensemble des actes de la procédure, et de renvoyer la prévenue des fins de la poursuite ; que, dès lors, le jugement entrepris doit être confirmé ;

  • Motif de la cassation

Vu les articles 63 ter du code des douanes et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, d’une part, le premier de ces textes, qui impose aux agents des douanes d’informer préalablement le procureur de la République des opérations de visite de locaux à usage professionnel, ne soumet pas cette obligation à un formalisme particulier ;

Attendu que, d’autre part, selon l’article 593 du même code, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu’à la suite d’une visite des locaux professionnels dont Mme X… est la propriétaire, révélant la présence de marchandises présentées sous une marque contrefaisante, les agents des douanes ont dressé un procès-verbal de constatation, en date du 28 janvier 2009, mentionnant que le procureur de la République avait été préalablement informé de cette opération et ne s’y était pas opposé ;

Attendu que, pour accueillir l’exception de nullité soulevée par la prévenue, tirée de la méconnaissance des dispositions de l’article 63 ter précité et annuler l’ensemble de la procédure, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que la preuve de l’information préalable du procureur de la République résultait des mentions du procès-verbal de visite et de l’attestation de l’agent ayant procédé à cette information, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

Transaction avec les douanes sur une contrefaçon de marque : une appréciation de fait ou de droit ?

Les Douanes interviennent pour la protection des droits de propriété industrielle, une transaction douanière peut d’ailleurs intervenir. L’arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre souligne que cette intervention doit tenir compte de celle engagée par le titulaire.

7 octobre 2005 : transaction des Douanes avec la société F…. . Celle-ci contre l’abandon des poursuites règle une amende et détruit des blousons saisis, considérés comme des contrefaçons de la marque V….

7 décembre 2006 : ordonnance de non-lieu sur la plainte en contrefaçon du titulaire de la marque V …. contre la société FR …. auprès de laquelle la société F… avait acquis les blousons litigieux.

En invoquant ce non-lieu, la société F….  assigne l’administration des douanes « en annulation de la transaction du 7 octobre 2005, en paiement du prix des blousons détruits, en remboursement de l’amende et en dommages-intérêts ».

10 septembre 2010 : la Cour d’Aix-en-Provence fait droit aux demandes la société F….

Pourvoi en cassation des Douanes qui est rejeté par l’arrêt du 11 septembre 2012.

  • Le moyen examiné par la Cour de cassation :

Attendu que l’administration des douanes fait grief à l’arrêt d’avoir prononcé la nullité de la transaction du 7 octobre 2005 et accueilli les demandes de la société France achat international, alors, selon le moyen, qu’une transaction ne peut être annulée pour cause d’erreur de droit ; qu’en affirmant que la transaction conclue le 7 octobre 2005 était entachée de nullité du fait que la société France achat international avait commis une erreur sur l’existence de la contrefaçon en considération de laquelle elle avait transigé avec l’administration des douanes, quand une telle erreur, portant sur l’existence d’une infraction, constituait une erreur de droit insusceptible d’entraîner l’annulation de la transaction, la cour d’appel a violé l’article 2052 du code civil ;

  • Le rejet du pourvoi par l’arrêt du 11 septembre 2012 :

Mais attendu qu’ayant retenu que le règlement transactionnel conclu par les parties reposait sur une erreur relative à l’existence d’une contrefaçon et que cette erreur portait sur l’objet même de la contestation, le délit douanier s’étant révélé inexistant, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la transaction litigieuse était entachée de nullité ; que le moyen n’est pas fondé ;

Contrefaçon de marque, de dessin et modèle, de brevet : la preuve du lieu de destination des marchandises en transit pour l’intervention des douanes

A propos des marchandises en transit suspectées de contrefaçon et de la possibilité d’intervenir pour les douanes, la CJUE a rendu un arrêt le 1er décembre 2011 [ ici ], affaires C-446/09 et C-495/09,  qui souligne l’importance du lieu de destination de telles marchandises en Europe ou ailleurs, et toutes les conséquences à tirer de l’absence de cette indication ou de l’incertitude sur ce lieu :

 

Le règlement (CE)n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, tel que modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999, et le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, doivent être interprétés en ce sens que:

–        des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union européenne par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens desdits règlements en raison du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif;

–        ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union européenne, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou lorsqu’il ressort de documents ou d’une correspondance concernant ces marchandises qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé;

–        pour que l’autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l’existence d’une telle preuve et des autres éléments constitutifs d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l’autorité douanière saisie d’une demande d’intervention doit, dès qu’elle dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

–        parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union européenne est susceptible de se produire.

Transbordement et réexpédition des marchandises : contrefaçon ou pas contrefaçon ?

Les questions particulièrement délicates de transbordement et de réexpédition des marchandises au regard des droits de propriété industrielle viennent régulièrement devant les Tribunaux. Une nouvelle illustration en est donnée par le jugement du 4 juin 2010.

Des marchandises dont l’expéditeur est une société asiatique et le destinataire situé dans un pays à l’époque extérieur à l’Union Européenne sont « temporairement stockées en zone aéroportuaire dans l’attente de leur réexpédition ».

Une société nord-américaine alertée par les douanes françaises et titulaire de différentes marques communautaires engage une action en contrefaçon de marque devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, qui est déboutée par jugement du 4 juin 2010 au motif qu’elle ne démontre pas « une mise sur le marché ou un risque de mise sur le marché français » des marchandises.