Successivement le Tribunal judiciaire de Paris, le 8 février 2022 et la Cour de Paris, le 13 mars 2024, annulent un contrat de cession gratuite de marque. L’arrêt du 13 mars 2024
La Toile s’enflamme, la cession gratuite de marque devait être passée devant notaire, à défaut elle serait nulle en application de l’article 931 du Code civil.
Mais une telle lecture de la décision d’appel est erronée.
Limitons-nous aux faits rappelés à l’arrêt puisqu’ils ont été considérablement simplifiés par l’abandon en appel de nombreuses demandes.
1. Les faits
4 août 2014 : S et T , deux personnes physiques, déposent ensemble une demande de marque de l’Union.
18 juin 2015 : S et T déposent ensemble 3 modèles communautaires (désignés 116-1 à 116-3 ).
13 juillet 2015 : cession de la marque et des modèles 116 à la société H… D…( cette société deviendra A…..).
2 janvier 2017 : à nouveau ensemble 3 dépôts de modèles communautaires (désignés 688-1 à 688-3).
27 janvier 2017 : S concède une licence sur la marque et sur les modèles 166 à la société O…….. où S et T sont associés, et à une société C….. S….. ( cette société est présentée comme tierce, a priori S et T n’en seraient donc pas associés).
11 décembre 2017 : S quitte le capital de la société C….
2019 : liquidation de O……..
23 janvier 2018 : T dénonce la cession des droits du 13 juillet 2015.
7 novembre 2018 : T assigne S et la société A….. en nullité du contrat de cession du 15 juillet et en contrefaçon de marque et de modèles ( leur validité sera d’ailleurs contestée).
Le jugement annule le contrat, la Cour confirme cette annulation .
2. Le 23 mars 2024 l’annulation du contrat du 13 juillet 2015 intervient pour défaut de consentement de T
2.1 Un contrat de cession très particulier
La situation de cet acte du 13 juillet 2015 est pour le moins étonnante puisque selon T, cette « cession de droits sur [la marque] ainsi que les dessins et modèles effectués au profit de la société H……. D …… |est] dans l’unique objet de procédures contre les contrefacteurs ».
En effet, une action en contrefaçon a été engagée par la société H….. D….. devenue la société A ….. , qui a été rejetée avec annulation des 3 modèles 116 par jugement du 11 juillet 2019.
2.2 Le défaut de consentement de T à l’acte du 13 juillet 2015 … parce qu’il ne l’a pas signé et s’est toujours comporté comme le titulaire des droits prétendument cédés
L’arrêt du 23 mars énumère une étonnante liste de griefs à cet acte du 13 juillet.
Cette liste se trouve regroupée dans un alinéa qui débute par « la validité de l’acte de cession daté du 13 juillet 2015 est des plus suspectes »,
2.2.1. T n’a pas signé cet acte du 13 juillet 2015 ….qui n’était d’ailleurs pas sa date
- La signature qui y apparaît sous le nom de M. [T] ne correspond pas à celle qui figure sur la carte nationale d’identité de l’intéressé ni à celle qu’il a apposée au bas des statuts de la société O……. en octobre 2014.
- La date de ce contrat est manifestement fausse :
- Y sont annexés des certificats délivrés par l’EUIPO en date du 29 novembre 2016.
- Au demeurant, dans un courrier du 27 octobre 2016 adressé à la société H d (dont M. [S] était, seul, l’associé et le gérant), MM. [S] et [T] étant en copie par mails, Me A …, conseil de MM. [T] et [S], évoque la cession comme étant à intervenir (« la marque ainsi que les dessins et modèles sont exploités par la société H…… D …… depuis sa création sans qu’aucun contrat de cession des droits ne soit intervenu entre vous-mêmes et la société H…….. D….. (‘) le contrat de cession va prévoir de rétroagir à la date de création de la société H…… D…. (‘) » ; « je vous prie de trouver sous ce pli le projet de cession (‘) »).
« Il est donc établi que M. [T] n’a pas signé de contrat de cession de la marque et des dessins et modèles le 13 juillet 2015, ce contrat indiquant par ailleurs en son article 6 (« Entrée en vigueur ») que la cession est « réputée être intervenue rétroactivement au jour de la création de la société H …. D……soit le 2 juillet 2014 », ce qui ne correspond pas à la date du 13 juillet 2015 ».
2.2.2. T s’est toujours comporté comme le titulaire des droits prétendument cédés
- Enfin, plusieurs courriers postérieurs à la cession prétendument intervenue le 13 juillet 2005 montrent que M. [T] est toujours considéré et se comporte toujours comme le cotitulaire des titres :
- ainsi, le 2 août 2016, M. [S] demande l’avis de M. [T] pour un contrat de concession de marque (pièce 32 intimé) ;
- le 14 octobre 2016, un contrat international de fabrication entre la marque « …… » « représentée par Mr [S] et Mr [T] [N] » et la société B E est adressé par celle-ci à M. [T] pour validation (pièce 28) ;
- le 22 décembre 2016, M. [T] répond à H D (M. [S]) au sujet d’une difficulté rencontrée par un client avec des antennes (pièce 37) ;
- fin 2016/ début 2017, M. [T] est chargé du dépôt de la marque aux Etats-Unis (pièce 35) ;
- le 11 janvier 2017, la société B informe MM. [S] et [T] de la modification de la codification de produits de la marque « …… » (pièce 29) ;
- le 28 avril 2017, M. [T] indique à Me A … qui l’avait interrogé, ainsi que M. [S], sur une contrefaçon de la marque « …….. » : « D’un commun accord, nous prenons la décision » de ne pas adresser de mise en demeure à la société …….. mais de « demander directement une saisie et procédure pour contrefaçon et usage abusif de la marque » (pièce 38) ;
- le 31 mai 2017, Me A…. rappelle à M. [T] : « les dessins et modèles sont aussi à toi » (pièce 27) ;
- le 31 mai 2017, Me A … , indiquant intervenir pour MM. [S] et [T], et non pour la société H….. D…… adresse une mise en demeure à M. [W] de cesser la commercialisation de produits protégés par la marque « ……. » ou les dessins et modèles (pièce 30)’
- Par ailleurs, par « contrat de distribution exclusive et de concession de marques dessins et modèles » du 27 janvier 2017, M. [S] concède aux sociétés O …… et C….. une licence sur les marque et dessins et modèles, étant cité comme le « propriétaire exclusif » de la marque « …… » et comme « le titulaire » des titres, ce qui est en contradiction avec la cession alléguée de ces mêmes titres à la société H….. D….. qu’il dirigeait (aujourd’hui A…..) prétendument intervenue le 13 juillet 2005. »
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Quel enseignement tiré de cet arrêt à propos de la cession gratuite de la marque confrontée à l’article 931 du Code civil ? Aucun !
Une lecture hâtive de cet arrêt du 13 mars 2024 y voit l’application de l’article 931 aux bénéfices des personnes morales et qu’il y est dit que l’article 714-1 du CPI n’y fait pas exception.
Toutefois, c’est oublié que la contestation de cette cession gratuite venait du prétendu cessionnaire (T) lui-même alors que classiquement, ce débat est mené à l’initiative d’une partie qui se trouve évincée de sa quote-part sur la donation.
Mais surtout les contempteurs de cet arrêt ont omis de relever la contradiction pourtant notée par la Cour dans l’argumentation de S, l’autre cessionnaire, « qui soutient tout à la fois que « l’acte comporte en lui-même l’intention libérale requise en ce qu’il indique que la cession intervient à titre gratuit » et que « l’acte litigieux ne saurait être qualifié de donation ».
C’est là qu’il faut revenir à ce qui a été dit ci-dessus à propos de cet étrange contrat.
En quoi un tel contrat à supposer qu’il ait été valablement signé, aurait constitué une donation avec l’intention constitutive de la libéralité requise aux articles 931 et suivants du code civil ?