Opposition à une demande de marque communautaire : la renommée et la notoriété de la marque antérieure peuvent-elles être prises en compte dans une opposition fondée sur l’article 8, 1 ou faut-il que l’opposant invoque également l’article 8,5 du règlement 40/94 ?

Lors d’une opposition à une demande de marque communautaire fondée sur une marque nationale antérieure, l’avocat peut être tenté d’invoquer la renommée et la notoriété de la marque antérieure lors du débat sur le risque de confusion.

Chacun l’aura compris, la question est de savoir si l’opposant devrait viser l’article 8, 5 du règlement 40/94 modifié  même s’il n’entend mener son débat que sur l’article 8,1.

La Cour de Justice nous a donné la réponse le 17 janvier 2013. La solution est rassurante pour les oppositions en cours qui n’ont pas indiqué le second article.

 

  • 27 septembre 2007 : Annunziata Del Prete dépose la demande de marque communautaire

POUR :

–        classe 9: ‘Appareils et instruments optiques, verres, montures, étuis, cordons et chaînettes pour lunettes; lunettes de soleil et correctrices; pince-nez; verres de contact et tous accessoires de lunettes compris dans cette classe’;

–        classe 25: ‘Vêtements, chaussures, chapellerie’;

–        classe 35: ‘Publicité; gestion des affaires commerciales, en particulier services de franchisage’.

  • 12 mai 2008 : Giorgio Armani SpA forme opposition

1°) avec la marque italienne figurative enregistrée le 10 octobre 2003,

–          pour des appareils et instruments optiques de la classe 9,

–          des vêtements, chaussures et chapellerie de la classe 25

–          des services de publicité et de gestion des affaires commerciales, classe 35

et

2°) avec la marque italienne verbale ARMANI JUNIOR enregistrée le 20 mars 2006,

–          pour des vêtements, chaussures et chapellerie, classe 25

–          pour des services de publicité et de gestion d’affaires commerciales,  classe 35

  • 20 août 2009 : , la division d’opposition accepte l’opposition dans son intégralité.
  • 12 novembre 2009 : recours par la déposante,
  • 8 juillet 2010 : la deuxième chambre de recours fait droit au recours. La décision de la division d’opposition est annulée, la marque demandée est enregistrée.
  • 17 septembre 2010 : recours de Giorgio Armani SpA devant le Tribunal
  • 27 mars 2012 : le Tribunal annulé la décision du 8 juillet 2010, la demande marque ne peut donc plus être enregistrée.
  • 23 mai 2012 : pourvoi de Annunziata Del Prete

  • 17 janvier 2013 : la Cour rejette le pourvoi

En l’espèce, il y a lieu de constater que l’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 n’a pas été demandée par Armani devant le Tribunal et que celui-ci ne l’a, par conséquent, pas examiné l’éventuelle méconnaissance de cette disposition. En effet, l’opposition d’Armani était fondée exclusivement sur l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, disposition invoquée par Armani tant devant la chambre le recours que devant le Tribunal. Lorsque le Tribunal a examiné si la chambre de recours avait correctement tenu compte de la notoriété ou de la renommée des marques antérieures d’Armani, cet examen s’opérait uniquement au regard de l’article 8, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, aux fins de rechercher l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent.

36      À cet égard, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce …..La Cour a également jugé que le risque de confusion est d’autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s’avère important, de sorte que les marques qui ont un caractère distinctif élevé, soit intrinsèquement, soit en raison de la connaissance de celles-ci sur le marché, jouissent d’une protection plus étendue que celles dont le caractère distinctif est moindre ….

37      La notoriété ou la renommée d’une marque antérieure peuvent, par conséquent, être pertinentes pour l’appréciation de l’existence d’un risque de confusion dans le cadre du motif relatif de refus visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n°40/94. Armani ayant invoqué la notoriété et la renommée de ses marques devant la chambre de recours, et ayant également présenté un matériel probatoire à cet égard, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, au point 34 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours aurait dû exposer les motifs pour lesquels elle était arrivée à la conclusion que le caractère distinctif élevé des marques antérieures invoquées à l’appui de l’opposition était lié exclusivement à l’élément «armani», alors qu’Armani avait fait valoir la notoriété et la renommée desdites marques dans leur ensemble.

 

Les difficultés rencontrées par les avocats et les conseils en propriété industrielle pour apporter des preuves d’usage de la marque

L’arrêt rendu le 13 juin 2012  par le Tribunal montre les difficultés auxquelles les avocats et les conseils en propriété industrielle sont confrontées quand il s’agit d’apporter la preuve de l’exploitation de la marque antérieure

  • Brièvement les marques en cause

– La marque communautaire demandée : CERATIX

Pour « Additifs chimiques permettant d’améliorer la surface et les propriétés d’application des teintures, laques, encres d’imprimerie et produits connexes, en particulier dispersions de cire à base de solvants »;

– La marque antérieure opposée : CERATOFIX

Une marque allemande du 4 septembre 2000 pour « « Produits chimiques à usage industriel, notamment aluminosilicates en tant qu’additifs pour la fabrication de matériaux et de corps de moulage incombustibles ainsi que de glaçures ».

  • La procédure devant l’OHMI

29 juillet 2010 : la division d’opposition considère que la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure est apportée. L’opposition est accueillie la demande de marque communautaire rejetée;

16 août 2010 : le demandeur à la marque communautaire forme un recours auprès de l’OHMI;

8 avril 2011 : la quatrième chambre de recours de l’OHMI rejette le recours en considérant que « que les documents déposés par la requérante étaient insuffisants aux fins de rapporter la preuve de l’usage sérieux au sens de l’article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 207/2009. En particulier, elle a estimé, au point 21 de la décision attaquée, ne pas pouvoir déterminer les produits auxquels les preuves documentaires concernant les actes d’usage de la marque antérieure faisaient référence ».

  • L’arrêt en rejetant le recours de l’opposant montre les difficultés auxquelles les praticiens , avocat, conseil en propriété industrielle,  sont confrontées quand il s’agit d’apporter la preuve de l’exploitation de la marque antérieure
  • Les documents produits :

–      une déclaration du Dr S., directeur du groupe de produits « spécialités » de la requérante, du 2 juin 2009 ;

–        des reproductions d’emballages ou de sacs portant l’inscription CERATOFIX ;

–        104 factures adressées à des clients en Allemagne s’échelonnant de 2004 à 2008 ;

–        une copie d’une page de la brochure « SCnews » 04/2007 ».

  • L’examen de ceux-ci

Sur la déclaration du D. S.

30……..il résulte de la jurisprudence, d’une part, que, même lorsqu’une déclaration a été établie au sens de l’article 76, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 40/94 par l’un des cadres de la requérante, il ne peut être attribué une valeur probante à ladite déclaration que si elle est corroborée par d’autres éléments de preuve……... D’autre part, le fait qu’une telle déclaration émane d’un salarié de la requérante ne saurait à elle seule la priver de toute valeur…].

Mais les  factures,  les reproductions d’emballage et celle de la brochure ne corroborent pas cette déclaration

38      …… il convient de constater que les factures qui ont été transmises par la requérante à l’OHMI comportent uniquement l’énoncé de la marque verbale, la nature du conditionnement ainsi que le numéro de l’article, mais ne précisent pas la nature du produit concerné, en sorte qu’aucune information ne permet de déterminer le produit vendu.

39      En effet, lesdites factures ne permettent pas, per se ou par recoupement avec des catalogues ou d’autres documents, de déterminer la nature des produits qui ont fait l’objet de la transaction matérialisée par la facture établie par la requérante…..

40      Or, en l’absence de toute donnée permettant d’identifier la nature du produit concerné ou, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 23 de la décision attaquée, de listes de références permettant de déterminer, au regard de leur numéro d’article, les produits qui ont été vendus, force est de constater qu’il est impossible de procéder à l’établissement d’un lien entre cette marque et des produits qui en seraient revêtus.

41      En outre, il n’apparaît pas que la preuve de l’usage serait plus difficile à rapporter lorsque les factures sont établies directement par le producteur aux entreprises industrielles que par des agents commerciaux à des clients finaux ou que les preuves présenteraient un caractère probant accru en ce qui concerne ces derniers.

42      En effet, que les produits soient vendus à des entreprises industrielles ou à des clients finaux, il convient de relever que, aux fins de l’établissement de la preuve d’usage sérieux, doivent toutefois figurer sur les factures des informations permettant d’identifier de manière même indirecte la nature du produit faisant l’objet de la transaction concernée.

43      Troisièmement, s’agissant des photographies des emballages portant l’inscription de la marque antérieure, force est de constater qu’elles ne permettent pas de déterminer, directement ou même indirectement, la nature du produit contenu dans lesdits emballages. En effet, ces photographies, dont il n’est pas nécessaire d’examiner la conséquence de l’absence de transmission de celles-ci à l’intervenante du fait du caractère illisible des photocopies adressées à cette dernière, comportent, pour quatre d’entre elles, uniquement la mention « CERATOFIX R 25 KG » suivie de la mention « 06/2009 » et de la mention « LW : 1744 ». La dernière photographie représente plusieurs sacs empilés et emballés ensemble dans un fil plastique transparent laissant apparaître l’inscription suivante : « CERATOFIX WGA M9106 24,5 KG ».

44      Aucune de ces mentions ne renvoie à un document ou à tout autre élément permettant de déterminer la nature du produit contenu dans ces sacs.

45      Quatrièmement, s’agissant de la copie d’une page de la brochure « ‘SCnews’ 04/2007 », force est de constater que cette brochure fournit des informations sur le lancement d’une nouvelle gamme de produits « CERATOFIX », à savoir des additifs spéciaux pour des agents de démoulage, pour la production de pneus et de matières plastiques.

46      Certes, ainsi que la requérante l’a souligné, la Cour a jugé, au point 37 de l’arrêt Ansul, point 19 supra, que l’usage de la marque devait porter sur des produits et des services qui étaient déjà commercialisés ou dont la commercialisation, préparée par l’entreprise en vue de la conquête d’une clientèle, notamment dans le cadre de campagnes publicitaires, était imminente.

47      Ainsi, selon la requérante, l’usage d’une marque peut être considéré comme sérieux lorsque cette marque n’est pas utilisée pour commercialiser des produits, mais pour conquérir de futurs débouchés, ce qui serait établi par la brochure susmentionnée, qui constitue une mesure publicitaire.

48      Toutefois, ainsi que l’a relevé à juste titre l’OHMI, cette brochure ne contient aucune indication concernant la commercialisation ou la vente de produits, mais fait uniquement référence à des « entretiens prometteurs » avec des clients potentiels, ce qui ne constitue, à ce stade, qu’une supposition. Ainsi, cette brochure ne saurait, à elle seule, être assimilée à une campagne publicitaire permettant d’entrevoir une commercialisation imminente concernant des produits spécifiques.

49      Il ressort des points 34 à 48 ci-dessus que la déclaration du Dr S. n’étant pas corroborée par d’autres éléments de preuve, c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré qu’elle ne pouvait pas, à elle seule, prouver l’usage sérieux de la marque antérieure.